En guerre, par Edouard Elias, photographe

©Edouard Elias

J’écoute depuis quelques jours en boucle l’album d’Aiko Takahashi accompagnant la publication chez IIKKI du livre d’Edouard Elias, It could have been a beautiful.

Ses gouttes de musique, ses ritournelles abstraites, ses chants d’oiseaux vont bien à ma complexion.

L’atmosphère est intérieure, méditative, bruissant de silences colorés et de multiples pointes d’éveil.

Cette paix céleste qu’invente le compositeur japonais contraste avec l’aspect troublé et douloureux des photographies d’Edouard Elias.

©Edouard Elias

D’un côté une sorte d’ataraxie finement dynamique, de l’autre le fracas, le chaos, la mort, l’exil, les guerres, la solitude, l’absence de Dieu – ou la présence d’un Dieu cruel.

D’un côté le chant des sphères, de l’autre la géographie terrestre – Bangladesh, Birmanie, Centrafrique, Congo, Croatie, Donbass, France (Légions étrangère et Gilets Jaunes), Irak, Liban, Méditerranée (à bord de l’Aquarius), Syrie, Turquie.

D’un côté le blanc et les étincelles, de l’autre les nuances de gris, les noirs contrastés et les couleurs.

©Edouard Elias

« J’ai choisi la photographie naturellement, explique Edouard Elias. C’est sûrement le résultat d’une double éducation : séparé entre l’Egypte et la France, j’ai appris à considérer les images à la fois comme des souvenirs et des objets qui me permettaient d’être transporté dans des lieux où je ne pouvais rester qu’un instant, mais aussi comme des documents historiques. Les rencontres et mon parcours m’ont donné l’envie de voir l’Histoire en cours, de l’expérimenter à travers mon appareil photo, et surtout, de ne pas oublier. C’est pourquoi j’ai déménagé en Turquie dans les camps de réfugiés syriens, puis en Syrie, produisant ainsi mon premier rapport. »

Il y a donc chez le photographe une obsession du témoignage et une hantise de l’oubli, doublée d’un questionnement sur la nature de sa propre présence en des zones ou territoires de douleur.

©Edouard Elias

La forme est celle du reportage, proximité avec les protagonistes, danger, tensions.

Solitudes, fraternités dans le glas.

Des enfants sont souvent présents dans les images du photojournaliste, difficile de ne pas voir en eux des avatars de l’auteur.

Un homme marche dans la rue : sera-t-il visé par le sniper d’une page précédente ?

Là, c’est un nuage de fumée à la traîne d’un missile, sorte de phallus courbé symbolisant la guerre.

©Edouard Elias

On peut chercher par la liste des pays en fin de volume de quels conflits proviennent les images, ou les regarder dans un continuum de désolation.

Les tués, les abandonnés, les esseulés.

On le vérifie une nouvelle fois, la guerre n’a pas – ou presque jamais – un visage de femme.

Edouard Elias fixe des détails : une main chenue et sale, portant une bague noire, appuyée sur une voiture, sous les phares avant ; des gerbes d’eau ; une jonchée de douilles ; des couvertures ; un keffieh ; des capuches ; un bonnet.

©Edouard Elias

Pas vraiment le temps de s’apitoyer, mais ne surtout pas ciller, pour l’Histoire.

On meurt, on essaie de survivre, en franchissant la mer et des frontières, on construit des tranchées, on attend.

L’industrie militaire est à la fête, la mer engloutit les malchanceux, on se bat pour sa terre.

Blessures, destructions, et des enfants continuant cahin-caha d’aller à l’école.

©Edouard Elias

Il doit bien y avoir une sortie dans cette époque où le mal règne.

On plonge la tête sous l’eau, on est baptisée par la vie, et l’on écoute de nouveau l’éden musical d’Aiko Takahashi.

Edouard Elias, It could have been a beautiful, directeur d’édition et de publication Mathias Van Eecloo, IKKI, 2023 – 500 exemplaires numérotés

https://www.iikki-books.com/iikki-022-it-could-have-been-a-beautiful

La lecture du livre peut être accompagnée par l’écoute des compositions musicales d’Aiko Takahashi – disque vinyle (300 exemplaires) et CD disponibles (200 exemplaires numérotés), masterisés par Taylor Deupree

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