
Il est bon, un matin de grisaille et de pluie, d’aller vers l’Esprit, qui plus est en français.
Le docteur Philippe Sollers préconisait de lire une lettre de Voltaire par jour, prescription que j’accompagne par la fréquentation d’autres correspondances majeures, ainsi celle de l’impératrice éclairée Catherine de Russie, dont les éditions Mercure de France proposent un florilège de lettres (1762-1796) sous le titre L’éloge du sang-froid.
Epistolière passionnée, l’autocrate était aussi une femme de lettres multiple, pamphlétaire – sous pseudonyme -, dramaturge, conteuse.
On se souvient de son achat de la bibliothèque de Diderot, et de son souhait d’employer d’Alembert à l’éducation de son fils (il décline).
Les correspondants sont de taille, les puissants Frédéric II et Marie-Thérèse d’Autriche, appelés « frère » et « sœur », Melchior Grimm, Voltaire, le Prince de Ligne, le Corse Pascal Paoli (aidé financièrement dans sa lutte de libération), la salonnière parisienne Madame Geoffrin, le désiré Stanislas-Auguste Poniatowski, le grand amour Potemkine.
Catherine de Russie lisait avec passion Madame de Sévigné, il n’est pas impossible que la marquise soit le spectre principal de ces lettres.
Elle écrivait en allemand, en russe, et surtout en français, langue qu’elle maîtrisait le mieux.
« Ses lettres sont si nombreuses, précise sa préfacière Verena von der Heyden-Rynsch, qu’elles n’ont jamais été réunies dans une édition complète. »
L’impératrice se voulait inflexible – la fonction nécessite l’imperturbabilité -, mais son cœur est souvent brûlant, notamment pour le brillant Potemkine.
Voltaire ? « L’auteur dont j’aime le mieux à lire les ouvrages. »
Diderot ? « C’est une tête bien extraordinaire que la sienne ; la trempe de son cœur devrait être celle de tous les hommes ; mais enfin comme tout est au mieux dans ce meilleur des mondes possibles, et que les choses ne sauraient changer, il faut les laisser aller leur train, et ne pas se garnir le cerveau de prétentions inutiles. »
A Potemkine, cette litote : « A dire vrai – je te prie de bien écouter cette vérité – je ne t’aime point et je ne veux plus te voir. Tu ne me croiras pas, ma joie, mais je ne peux plus te souffrir. (…) J’ai donné l’ordre formel à tout mon corps, jusqu’au plus petit de mes cheveux, de ne pas montrer le moindre signe d’amour. »
Puis : « Mon petit pigeon chéri, je vous aime beaucoup ; tu es beau, intelligent, amusant. J’oublie le monde entier lorsque je suis avec toi. Je n’ai jamais été aussi heureuse que maintenant. Je cherche souvent à cacher mes sentiments, mais mon cœur trahit ma passion. »
Puis : « Pour le moment, je serai pour toi « une femme de feu », comme tu le dis souvent. Mais je tâcherai de cacher « mes flammes » sans pouvoir m’empêcher de les sentir. »
Puis : « mon bijou »
Puis : « Mon maître et mon cher époux »
Ne trouvez-pas qu’il fut un temps où l’on savait aimer avec passion, loin des calculs et des boutiqueries sentimentales, jamais très loin du ressentiment ?
Il faut lire L’éloge du sang-froid, où s’exprime le volcan, et l’esprit d’un siècle que Nietzsche appellera « le miracle français. »

Catherine de Russie, L’éloge du sang-froid, Correspondance (1762-1796), préface Verena von der Heyden-Rynsch, collection Le petit Mercure, éditions Mercure de France, 2001, réédition 2023, 86 pages
https://www.mercuredefrance.fr/leloge-du-sang-froid/9782715262621
