Vincent Van Gogh ouvre et ferme les yeux, par Mika Biermann, écrivain

« Elle n’insiste pas. Elle est assise à côté de lui, toujours nue comme une salamandre, les mains sur les hanches, les seins en avant. Ses yeux ont des reflets jaunes ; l’iris est constellée de paillettes d’or. Ses cheveux tire-bouchonnent dans son dos. »

Ecrivain et guide-conférencier au musée des Beaux-Arts de Marseille, Mika Biermann aime imaginer la vie des peintres du XIXème siècle qu’il admire.

Après Trois nuits dans la vie de Berthe Morisot et Trois jours dans la vie de Paul Cézanne, les éditions Anacharsis publient Trois femmes dans la vie de Vincent Van Gogh.

Il ne s’agit pas d’une coupe biographique stricte, mais du plaisir d’inventer des lignes fictionnelles, d’observer, dans les situations les plus quotidiennes, les héros de la peinture en leur tempérament intense.

Des personnages traversant des tableaux de mots.

Ici, Van Gogh (1853-1890) apparaît quelquefois à peine, l’écrivain, conteur benjaminien sensible au destin des moindres, s’attachant à surtout à créer quelques-unes des femmes possibles de sa vie, et des épisodes parfois peu considérés par les historiens de l’art assermentés.

Rencontrées durant l’enfance, au moment de l’âge mûr, et le dernier jour de sa vie, ces femmes sont saisies dans leur énergétique particulière, leur voix, leur gestus.

L’ambition est de faire jubiler le verbe, tout autant que les figures un peu figées que sont généralement devenus les grands peintres transformés au fil du temps en capital culturel.

Mika Biermann, c’est l’universalité des affects, et le communisme des sentiments.

Portrait de Saskia, pas le bel amour de Rembrandt, mais la gardeuse d’oies se couchant nue au bord du ruisseau, ne craignant ni les petits verres de genièvre, ni la bagarre avec les garçons trop insistants.

Vincent, fils de pasteur, la regarde à travers les branches, fasciné.

Se repaître de la beauté d’une femme nue, c’est directement aller en Enfer, non ?

« Saskia saute sur ses pieds, passe ses mains sur son entre-jambe, écarte les lèvres de son sexe. Vincent, bouche bée, a du mal à en croire ses yeux. La fille folle rit et s’en va chercher ses vêtements. Le garçon se redresse dans l’herbe, il sait qu’on ne peut pas oublier ce qu’on a si bien vu. »

Origine du monde, origine de la peinture.

Vincent a la fièvre, il pourra bientôt peindre sans s’arrêter.

Portrait d’Agostina, qui tient à Paris vers 1887 un café, Le Tambourin (comme à Arles), que fréquente le Hollandais, troquant parfois des peintures contre de l’absinthe.

Peinte par Manet, modèle appréciée, Agostina est désormais délaissée.

Vincent veut l’emmener en Italie, lui faire découvrir les grands maîtres, tout en rêvant d’y être pêcheur de poulpes.

Passent sur les pages des noms illustres, Rubens, Le Caravage, et Corot, Degas, Courbet, Renoir, Sisley, Toulouse-Lautrec, Monet, Gauguin et Goya, et Monticelli, Ziem.

Mika Biermann construit soigneusement ses visions, souligne les détails, météo, objets, paroles apparemment secondaires.

Et si, propose l’écrivain, Vincent et Agostina ne s’étaient pas séparés en février 1888, que serait-il advenu de lui ?

Portrait de Gabrielle, la petite paysanne féroce, aux dernières heures du suicidé de la société, à Auvers-sur-Oise.

Des voyous lui ont tué son chien, elle se venge.

Pendant ce temps, Vincent prépare ses boîtes de peinture, et sort.

Traque des criminels, promenade ultime, sur le motif.

L’étranger aux cheveux roux boit une bière, les bandits Teigne et Georges Tête-de-Nœud souffrent.

Vincent à son frère Théo : « Si toutes les images disparaissaient demain, on ne se porterait pas plus mal. Quelques esthètes pleureraient trois larmes ; l’océan roulerait ses vagues comme toujours. Le monde n’a pas besoin de nous, et surtout pas de moi. Pas de mes tableaux. Les hommes ont besoin d’amour et d’un plat de patate. »

Une balle est tirée.

Van Gogh a alors 37 ans, et 871 tableaux derrière lui.

Mika Biermann : « Toute peinture est un assassinat du bon sens. Le peintre est un assassin. »

Comme l’écrivain.