Europe, horizon de glace et d’espérance, par Dominique Souse, photographe

©Dominique Souse

L’Europe est-elle une fiction politique ?

Peut-être, mais c’est surtout, dans l’œil de Dominique Souse, un territoire peuplé d’enfants et de hautes solitudes, de vies modestes ou misérables et de mélancolie.

Depuis plus de vingt-cinq ans la photographe parcourt un espace dont elle saisit, au noir & blanc argentique, la gravité.

©Dominique Souse

Dans Europa, bel ouvrage publié par les éditions Mare & Martin, le temps semble arrêté, comme pris dans une lente glaciation.

Nous sommes en Allemagne (surtout de l’Est), en Pologne, en France, en Italie, en Espagne, en Grèce, au Danemark, en Belgique, en Albanie, en Russie (aux lisières), mais la sensation est d’abord celle d’une géographie mentale, comme un autoportrait intérieur formé par un palimpseste visuel.

Dans sa superbe préface, Carole Naggar évoque les mânes de Mario Giacomelli, Christer Strömholm et Ralph Eugene Meatyard, esprits favorables à l’introspection et au décalage, aux jeux de regards et à la poésie de l’existence, fût-elle âpre.

©Dominique Souse

« La balançoire du temps se fige, écrit-elle, enfermant une fillette dans son triangle. Parfois Dominique Souse interroge les visages, confronte les générations, parfois aussi, elle capte de loin des silhouettes immobiles qui disent l’accord profond des êtres avec la nature et qui, dans le paysage, apparaissent comme de minuscules menhirs, des pierres levées qui ont poussé dans l’herbe, et s’avancent vers l’eau, vers les nuages. »

Un homme se baigne (première image) dans un cours d’eau, alors qu’un autre, sur la rive, lui tend une serviette.

C’est une entrée, une introduction, un baptême symbolique.

©Dominique Souse

Des enfants portent des voiles d’un moulin à construire, l’Europe est don-quichottesque, le rêve est sa substance.

Un petit garçon passe devant un mur ensoleillé, en Pologne, mais ce pourrait être à Sfax ou Tripoli.

Il y a des traces sur la dalle éliminée du Temps : est-ce du sang ? de la terre ? de la poudre à canon ?

Ballet des pas dans l’escalier de la mémoire, poupée ou poupon, fraternité intergénérationnelle, visages de deuil, corps meurtris, peuple debout entre les fêtes et les difficultés quotidiennes.

©Dominique Souse

On bricole, on survit, on endure, on s’effondre parfois, mais, Dieu, comme la lumière est transcendante, et la géométrie, et le visage des enfants.

L’Histoire est un cavalier glacé, statue de pierre gelée dans un champ de ruine.

Une mariée a perdu sa robe blanche, l’amour-fantôme flotte à l’horizon.

Pour construire Europa, Dominique Souse a probablement beaucoup coupé, tranché, choisi dans son vaste corpus.

©Dominique Souse

Chaque image est implacable, totale.

Une petite fille tend un chat à son grand-père dans une cuisine sans luxe (France, années 1980).

C’est la rue d’Alger à Calais, dans le quartier alors si délaissé du Fort Nieulay, où mon arrière-grand-père paternel vivait près de son poêle à charbon, le lit situé à deux pas de la table à manger et de la bouteille de vin rouge à partager.

Honneur aux prolétaires, merde à Vauban et aux nantis.

Dominique Souse, Europa, préface (français/anglais) Carole Naggar, éditions Mare & Martin, 2023

©Dominique Souse

http://dominiquesouse.com/fr/

©Dominique Souse

https://www.mareetmartin.com/les-editions-mare-et-martin/les-editions

https://www.leslibraires.fr/livre/22802764-europa-souse-dominique-mare-martin?affiliate=intervalle

Laisser un commentaire