Toutes portes ouvertes du labyrinthe sans nom, par Stéphane Lambert, poète

Etude de bras et jambes pour le tableau Le Radeau de La Méduse, 1818-1819, Théodore Géricault, Musée Fabre

Fou de peinture, Stéphane Lambert continue de regarder, de penser, de ressentir l’art qui le passionne,  lorsqu’il écrit, que ses textes soient en prose – la plupart -, ou en vers (six titres).

ni se nommer est, aux éditions belges La Lettre volée, une tentative de s’approcher, en vers libres sans ponctuation, ni majuscule, du noyau brûlant des peintres qu’il aime, créateurs de formes, d’espace et de lumières (Caspar David Friedrich, Théodore, Géricault, Michael Biberstein, James Turrell).

Premier de tous les artistes, Dieu, que l’auteur de Tout est paysage (L’Atelier contemporain, 2020) écrit en son poème inaugural D.I.E.U., afin d’en souligner l’impronçable, et de rappeler sous les quatre lettres piquetées le mystère du tétragramme initial. 

Dieu est unité, « totalité de l’épars ».

Mais y a-t-il moins de totalité dans un petit pan de mur jaune que dans une chapelle luminescente de James Turrell, ou un pied mort de Géricault ?

L’épars, ou le fragment, est lui aussi absolu.

Le pauvre est riche, le riche est pauvre.

Qui cherche la vie (déliaison) trouve la mort, qui trouve la mort (des illusions et des attachements) parvient à la vie.

En ce livre de peu de pages, on voit d’abord le blanc autour des petites taches noires organisées comme des pluies verticales soumises au déport du sens, traits de pinceaux enfantant des vers d’un, deux, trois ou quatre mots.

« à la fin / marcher seul // dans la cendre / de l’incréé /// prier »

Oui, prier devant les œuvres qui nous enchantent, les célébrer, les sauver quand elles nous sauvent.

Le lexique est resserré, tout est intérieur, éloquent sans grandiloquence.

« tempête assourdie // des silhouettes tombeaux // âpre nord »

  • Romantisme ou réalisme ?
  • Les deux bien sûr, répond le peintre du Radeau au bitume craquelé, Théodore Géricault.

Assembleur de nuées, amateur de Marc Rothko, le peintre suisse travaillant aux Etats-Unis Michael Biberstein invente « la brume / qui fera le monde »

Entrons maintenant dans la Chapelle Turrell (cinquième paroi du polyptique).

L’émotion esthétique guide l’écrivain, saisi par la structure de lumière en ce lieu de recueillement : « vide / derrière l’autel / habitat / de lumière // dernier chant / des oiseaux / inséminé / au silence // déclin / du jour / animant / la chapelle / s’éteindre / dans la couleur / de celui / qui ne viendra pas »

 Mais il y a, dans ce recueil de clarté, une sourde inquiétude, comme un gouffre engloutissant la parole, qui peut être de Dieu, ou du Diable – lire Cimetière de glace, poème dédié à Patricia Canino, qui fut la monteuse du film de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23 quai du commerce (1975).

Poursuivant son exploration du visible, Stéphane Lambert écrit : « comme le familier / refléterait / l’étrange »

Stéphane Lambert, ni se nommer, La Lettre volée, 2023, 60 pages

https://lettrevolee.com/spip.php

« Il y a peu de choses / presque rien // la route simplement / continue »

La Lettre volée publie conjointement os cuillère, de la poétesse et plasticienne belge Laurence Skivée, où l’organisation des mots sur la page consonne parfaitement avec les constellations de Stéphane Lambert.

On est ici du côté de la déchirure, de la solitude, de la cruauté, de l’aphasie chantée.

Nous commençons à peine à parler, n’est-ce pas ?

Le blanc est en ce recueil ferveur de l’absence.

Ce que dit la voix : « je reconnais / faiblement / ce que tu as / crié »

En préface, Tristan Sautier écrit : « Elle est en route, et la route est ardue, vers elle-même. »

Apprendre à être soi, enfin.

L’écriture est ce chemin quand elle traverse, presque muette, son propre semblant.

Aller à l’os, gratter, puis retourner la cuillère.

Laurence Skivée, os cuillère, préface de Tristan Sautier, La Lettre volée, 2023, 52 pages

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