
©Anne-Lise Broyer
« Intimité et pudeur pour fronder. »
L’amour arrête-t-il le temps, le coupe-t-il ou le densifie-t-il ?
Le désir nous sépare-t-il ou nous unifie-t-il ?
On se quitte, la main devient sans emploi, et la bouche, et la palpitation rapide des veines, mais il reste l’écriture.
L’automne arrive, il va falloir faire avec le froid.
Je lis ainsi Présent antérieur, de Fanny Lambert, qui est une suite de strophes, généralement courtes, composées de vers libres lancés dans la nuit d’une rupture aux contours tranchants.
Pour faire avec l’absence, on peut s’aider de la psychanalyse, entourer la blessure de mots, la diluer dans les vagues de phrases, lui laisser d’abord prendre toute la place, avec confiance, et soudain la renverser par le claquement du verbe, enfin, peut-être, la remercier de nous avoir fait grandir en liberté.
Il faut payer, jeter ses écus au vent des mots. Pour l’écho, pour rien.
Un premier arrachement en entraîne souvent d’autres.
Que faire des images d’un bonheur enfui ?
Que faire des objets qui restent, dans l’appartement ou la mémoire ?
Que faire des envies qui traînent encore çà et là, comme un chien qui claudique ?
Que faire de la stryge qui crie, et rit, et bave en nous ?
« C’était où – cette délicieuse emprise ? / C’était quand les vibrations du ventre ? »
Ou : « Supporter ce désir à bout de pattes que l’on ne parvient pas à maintenir. »
Fanny Lambert nous donne un conseil : « Prenons le temps de ne pas nous connaître. »
Alcool.
Vertiges.
Jouissances sous l’œil blanc des fantômes.
Solitude.
Ennui.
Oppression.
On peut prendre une photo : « Enregistrer le fragile l’instant d’avant sa disparition. »
C’est nous, non ? à chaque seconde.
On cherche le sens, on met un peu d’ordre, et puis tout se précipite, on s’abandonne à la vitesse.
Page 76, il y a ce poème majeur : « On aura tout sacrifié. On aura su. / On y laissera la peau et des bouts de rien. / On poussera les murs de l’existence. On se contorsionnera / mais nous aurons fait. / Nous aurons vécu en vrai une vie débordante pour tous / mais qu’on aurait fait plus grande / pour nous seuls. // Transgresser ce que l’on nous donne – de la viande / que l’on cède de la main aux chiens. / Des captures en guise d’amorces. / S’il ne s’agit plus de hors champ, alors, / Il faudra forcer les abîmes entre les plans. / Percer. / Sous l’intimité du réel. / Tracer directement sur les prélèvements – la fiction. »
Mords-moi, entoure-toi contre ma jambe comme un serpent, étrangle-moi pour que je dise enfin la vérité de ma fiction.

Fanny Lambert, Présent antérieur, maquette Nicolas Balaine & Anne-Lise Broyer, éditions nonpareilles, 2021, 104 pages

Fanny Lambert participe à la dynamique de la revue Aventures que dirige chez Gallimard Yannick Haenel (chronique à venir) avec un texte intitulé Enfeux.
https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Revue-Aventures