Le labeur des jours et la comédie humaine, par Gianni Berengo Gardin

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Gianni Berengo Gardin ©Actes Sud, 2024

Il faudrait faire un sort, peut-être, au concept flou et désormais très usé de photographie humaniste, évacuant le mal métaphysique et l’approche de l’impossible pour le regard porté sur les réalités les plus concrètes (difficultés et joies) du peuple.

Il est difficile de défendre encore l’adjectif humaniste, obscène après la Première Guerre mondiale, définitivement caduc après la Seconde.

Le cœur des bipèdes parlants ? l’incommensurable, la cruauté, le désir de domination, mais aussi, certes, la compassion, la noblesse des sentiments, l’altruisme.

Que serait donc un humanisme du XXIe siècle, s’il fallait encore faire vivre le terme, après les catastrophes du XXe siècle et l’asphyxie cybernétique se confondant avec l’ère planétaire ?

Pour désigner l’œuvre du photographe italien Gianni Berengo Gardin – 94 ans en octobre prochain – j’emploierai plutôt l’expression terriblement humaine, c’est-à-dire absurde, drôle, sombre, amoureuse, égarée, fantasque.

Gianni Berengo Gardin ©Actes Sud, 2024

Variabilité des émotions et des comportements, impression de commun decency, danse des jours.

Gianni Berengo Gardin, c’est plus de deux cents livres – dont de nombreux ouvrages de commande -, des collaborations avec les plus grands titres de la presse italienne et mondiale, un succès auprès des entreprises de publicité, mais aussi  un attachement, au noir & blanc argentique, à la communauté des gitans, les déracinés du Sud (i teroni), les ouvriers, les internés psychiatriques, les déclassés, les parias, les exclus.

Une curiosité insatiable, un art du détail révélateur, la rue comme théâtre permanent.

Lumière naturelle, refus du flash, liberté de mouvement (Leica).

« Berengo, analyse la critique et historienne de la photographie Giovanna Calvenzi dans la préface de son Photo Poche, n’aime pas regarder derrière lui. Il adopte, de manière probablement inconsciente, une attitude zen qui le garde fortement enraciné dans le présent. Il est satisfait de ce qu’il a fait et, au fond, soutient-il, pour l’être pleinement, il lui aurait suffi d’avoir fait une dizaine de bonnes, de vraies photographies. »

Gianni Berengo Gardin ©Actes Sud, 2024

Les images de Gianni Berengo Gardin peuvent faire songer à Mario Giacomelli (Toscane, 1965), Henri Cartier-Bresson (Scanno, Abruzzes, 1986), Josef Koudelka (Pouilles, 1958) ou Raymond Depardon (Venise, 1958), mais le maître ne copie personne, son œil rapide témoignant des transformations sociales en son pays avec une acuité non dénuée de tendresse.

Le regard est souvent ironique, mais toujours de fraternité.

Des amoureux s’embrassent sur un banc à Paris, bouche fixe alors que passe derrière eux le tremblement d’un bus, on dirait du Truffaut.

Cachée par la table d’un buffet installé dans la cour d’une vaste demeure, une femme étendue ne laisse voir que ses pieds, ses chaussures noires pointues et sa robe à fleurs tombant sur la naissance des genoux, on dirait du Tati.

Gianni Berengo Gardin photographie la comédie humaine, le labeur quotidien, et l’excentricité de sauvegarde.

Gianni Berengo Gardin, introduction de Giovanna Calvenzi, direction éditoriale Géraldine Lay, assistante éditoriale Nesma Merhoum, création graphique Wijntje van Rooijen & Pierre Péronnet, mise en page Anne Ambellan, fabrication Sophie Guyader, Photo Poche 102, nouvelle édition, Actes Sud, 2024

https://www.actes-sud.fr/contributeurs/gianni-berengo-gardin

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