Irlande, aller vers la paix, par Akihiko Okamura, photographe

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©Estate of Akihiko Okamura

 Le décès d’Okamura fut un grand choc pour de nombreux Japonais. La salle funéraire d’Aoyama à Tokyo, où furent célébrées ses funérailles, était remplie d’une fouille endeuillée témoignant non seulement du caractère soudain de sa mort mais aussi de l’ampleur et de la diversité de ses réalisations, qui ne se limitaient pas à son travail de photographe. A partir des années 1970, Okamura élargit en effet le champ de ses activités à d’autres domaines : il organisa des séminaires dans tout le Japon sur la formation des infirmières, contribua à la refonte d’un hôpital psychiatrique et s’intéressa plus tard au mouvement en faveur des soins palliatifs. » (Masako Toda, historienne de la photographie)

Connu d’abord au Japon comme photoreporter et photographe de guerre (au Vietnam), Akihiko Okamura n’a paradoxalement jamais cessé de rechercher la paix dans le détail, le quotidien, l’infra-ordinaire, notamment depuis son installation en Irlande en 1969, où il résida en famille jusqu’à sa mort en 1985 à l’âge de 56 ans.

©Estate of Akihiko Okamura

Le pays vit alors dans le Nord ses premiers troubles entre unionistes protestants et catholiques nationalistes, ces derniers combattant une logique postcoloniale délétère – combien de morts de la faim irlandais dans les prisons britanniques ?

A la différence de Gilles Peress, Gilles Caron ou Don McCullin, la guerre n’attire pas directement le regard du photographe ayant laissé peu de traces dans son pays d’adoption, mais plutôt les à-côtés et les instants suspendus.  

L’image emblématique des bouteilles de lait, pleines ou vides, symbolise la volonté de susciter une lecture polysémique, entre réconfort de l’enfant (substitut maternel) et possible arme de guérilla urbaine (les cocktails Molotov).  

©Estate of Akihiko Okamura

Par ses images aux teintes très douces (superbes lumières aux couleurs fanées de la pellicule Kodachrome) et son regard dénué de jugement ou de vindicte, Okamura déjoue les effets de la violence, offrant au peuple irlandais, qui découvre aujourd’hui son travail à Berlin au Photo Museum Ireland (direction Trish Lambe), ainsi que dans une monographie publié par Atelier EXB, un portrait de lui-même plein de mystère, de solidarité et d’amour (étymologie du mot Irlande).

Seul Japonais à avoir documenté visuellement avec autant de systématisme le conflit nord-irlandais, le photographe au tempérament volontiers anarchiste (éthos du décentrement) est dans la rue, dans une île qu’il n’est pas difficile d’identifier pour lui comme un territoire de transfert.

Okamura photographie, entre mélancolie et affection, des scènes généralement anti-spectaculaires, mais qui l’émeuvent probablement pour leur pouvoir d’universalité, entre quiétude et tensions.

Des drapeaux, des coins de rue, des personnages en attente offrant au spectateur un univers fictionnel à compléter.

©Estate of Akihiko Okamura

Des enfants, des gerbes de fleurs commémorielles, des défilés.

Un soldat en patrouille, un incendie insurrectionnel, des quartiers populaires.

Inscriptions et tags sont à déchiffrer, tout est informé par la guerre, mais il ne s’agit pas d’en faire la promotion.

Okamura, qui connut la terreur des bombardements américains sur son île natale, observe les belligérants, des deux côtés, les marques de destruction, les signes de deuil.

©Estate of Akihiko Okamura

IRA lutte, IRA vaincra, dans la boue, sous la pluie, et du côté des masures les plus misérables.

Le photographe remarque des discordances, des incongruités, la folle fantaisie du vivant, jusque dans les pires situations.

Jets de pierres, sang sur l’asphalte, veuves noires.

Un homme balaie, c’est la saison des fraises, les enfants jouent.

En postface de l’ouvrage Les Souvenirs des autres, Kusi Okamura, fille du photographe qui eut quatre enfants, souligne la capacité de son père à passer inaperçu.

« Mon père, écrit-elle, était invisible tandis qu’il photographiait. Bien qu’il ait réussi à prendre des photos à presque tous les moments historiques du conflit nord-irlandais, personne ne l’a jamais vu, personne ne lui a jamais parlé et personne ne l’a jamais entendu. »

©Estate of Akihiko Okamura

Cette énigme est fascinante, et l’œuvre de cet homme discret d’une très grande importance, esthétique, éthique, politique.       

La découvrir est une grande joie.

Akihiko Okamura, Les Souvenirs des autres, préface (en irlandais/français) de Trish Lambe, textes (en français) de Pauline Vermare, Masako Toda, Sean O’Hagan et Kusi Okamura, édition Jordan Alves, assisté de Camille Cibot, design graphique François Dézafit, Atelier EXB, 2024, 160 pages

https://exb.fr/fr/home/630-akihiko-okamura-les-souvenirs-des-autres.html

Ce livre accompagne l’exposition éponyme présentée au Photo Museum Ireland (Dublin), du 11 avril au 6 juillet 2024

https://exb.fr/fr/home/630-akihiko-okamura-les-souvenirs-des-autres.html

https://www.leslibraires.fr/livre/23322219-les-souvenirs-des-autres-akihito-okamura-xavier-barral?Affiliate=intervalle

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