
©Max Pam
« C’est à cette époque [1958] que j’ai pris ma première bonne photo, avec un appareil Kodak Retina qu’on m’avait prêté. Quand je le regarde aujourd’hui, je me dis qu’il y est surtout question de sexe et de bagnole, mais je ne suis pas sûr que ce soit ce que je voulais montrer alors, à neuf ans… » (Max Pam)
La collection 36 vues, créée et dirigée par Rémi Noël, est l’une des meilleures initiatives ayant eu lieu ces dernières années dans le petit monde éditorial de la photographie française.
Il s’agit de proposer à un photographe de commenter trente-six images de sa vie, de déployer en mots sa vision, d’expliciter et de dériver en phrases à partir d’un corpus savamment choisi.

©Max Pam
Après deux premiers volumes confiés à Bernard Plossu et Pierre de Vallombreuse, le dernier opus composé par Max Pam est tout aussi remarquable.
Demander à un globe-trotteur d’entrer dans le vif de ses images où le hors champ est généralement très puissant ne peut qu’entraîner l’enthousiasme.
Max Pam a des tonnes d’anecdotes à raconter, toutes aussi savoureuses les unes que les autres, ses histoires sont fascinantes, incongrues, dôles, inquiétantes.
That’s the real life, my friend, pourrait-il dire.
On est du côté de la geste hippie, des portes de la perception ouvertes par les drogues, du sexe, de la beauté des femmes et du goût de la géographie, en particulier l’Asie (Afghanistan, Inde, Népal, Thaïlande) où l’Australien n’a cessé de voyager.
L’ouvrage commence par un superbe éloge de son ami Bernard Plossu. Ces deux-là sont comme des frères, d’une fidélité sans faille à ce qui les constitue intimement, la sensation de la liberté et l’émerveillement face à ce qui peut apparaître, à préserver absolument.
Bill Coleman et Allen Ginsberg sont leurs maîtres, il y a de pires gourous.
« Bernard, écrit-il, est animé par une confiance en soi fondée sur l’interrogation et la spéculation : il est curieux de tant de choses ! C’est l’intense questionnement propre à l’enfance qui se prolonge à l’âge adulte… Sa certitude est que la vie lui envoie constamment un message obscur, qu’il cherche à décoder sous forme de langage visuel. C’est ce flux de sensibilité consciente qui traverse son projet photographique depuis cinquante-cinq ans. Chez lui, la prise de conscience de soi, façonnée par ses propres fragilités, est contrebalancée par sa détermination à ne pas se laisser enfermer par elles dans l’immobilisme. »

©Max Pam
Max Pam en quelques traits ?
Le goût de l’océan et du surf, la passion des rencontres et de la diversité, l’enchantement envers les cultures ataviques et la sensualité de l’existence.
Alors qu’il est étudiant en 1971 dans une école d’art à Londres, il photographie Georgina, la copine de son colocataire, image inaugurale.
« Un jour, elle me bloqua dans le couloir alors que je revenais des toilettes et me plaqua contre le mur. J’étais en pyjama ; elle était nue. Je me laissai glisser dans le néant et entraîner dans l’effondrement de l’instant… Nous avons échangé un seul baiser au goût d’éternité, qui fut ce qui pouvait se passer de plus fort entre nous. »
Le voici maintenant avec Rachel à Paris écoutant le nouvel album de Neil Young, Harvest.
S’ensuit un premier voyage vers l’Afghanistan et l’Inde – une obsession graduelle – en passant par l’Irak et l’Iran. Tempête de sable, route de Bagdad, hospitalité arabe, frustration sexuelle des hommes, arrivée à Kaboul, dangers, observations d’ordre géopolitiques, traversée du temps, des lieux et des visages que condense la photographie.
Tensions nationalistes, altérité armée, théâtre de la vie, flots de sensations guidées par ces mots de Rûmî (13ème siècle) : « Viens ! Viens, qui que tu sois, vagabond, idolâtre, adorateur du feu ! Viens même si tu as brisé tes serments des milliers de fois ! Viens et reviens encore ! Notre caravane n’est pas une caravane de la désespérance. »

©Max Pam
L’appareil photographique serait-il un chaudron ardent ? L’hypothèse n’est pas à exclure.
Max Pam découvre l’esthétique du portrait double avec Diane Arbus, qu’il expérimente abondamment en Inde.
Train express pour Bombay, regard intense des voyageurs, mise à nu de l’étranger.
Découverte du Népal avec son épouse Janno, au visage préraphaélite, et récit de différentes aventures sexuelles.
Pour le photographe, il ne s’agit surtout pas de sursignifier, ou de s’enfermer dans les symboles, mais d’aller au contact de la réalité, en remarquant les étrangetés et grâces du vivant.
36 vues, 36 chandelles, 36 étonnements, 36 preuves qu’on a vécu et bien vécu, 36 façons d’être libre.

Max Pam, 36 vues, directeur de la collection Rémi Noël, conception graphique Olivier Verdon, réalisation graphique Patrick Le Bescont, Editions Poetry Wanted, 2024, 190 pages

https://www.poetrywanted.fr/products/test-36-vues
