Propos sur la peinture, par Raymond Queneau, écrivain

©Mario Prassinos

« Amateurs comme marchands, je ne voudrais pas les désoler, mais je crains qu’ils ne puissent jamais apprécier les parts respectives du sérieux et de l’amusement dans l’art. »

J’aime beaucoup les écrits sur la peinture des écrivains : plaisir d’un style en rencontrant un autre, plaisir d’une recherche de justesse, mots et phrases trempées de couleurs et de formes, plaisir d’une chair frôlant une chair.

Recueil inédit de quarante textes publiés entre 1928 et 1975, Allez-y voir ! enchante par les noms qu’il rappelle et étudie, parfois de façon pataphysique, en toute amitié envers des artistes et galeries que l’auteur de Courir les rues appréciait.

On trouve ainsi dans cette édition précisément indexée comportant une photo de l’écrivain en frontispice, mais aussi quelques reproductions de Dubuffet et Miro, des propos sur Giorgio de Chirico, Hélion, Elie Lascaux, Georges Hugnet, Arnal, Maurice Henry, Pablo Picasso, Claude Abeille, André Marchand, Vlaminck, Gala Barbisan, Enrico Baj, Mario Prassinos, Stacha Halpern (liste non exhaustive).

Je ne cherche pas, je trouve, et vais directement vers les noms qui m’importent.   

L’impertinent Enrico Baj par exemple (cinq articles dont le drolatique Picabaj et Bacasso), d’abord découvert en lisant l’ouvrage que lui consacra le trop peu célébré Alain Jouffroy : « Non-réaliste, la peinture de Baj, en ceci qu’elle me paraît se rattacher à toute une tradition de la peinture italienne, qui, partant des rues vides de certain tableau attribué à Piero della Francesca, passe par Monsu Désidério, les peintres de ruines, Piranèse pour aboutir à Chirico (au vrai Chirico) et à la peinture dite métaphysique, c’est-à-dire celle qui montre l’homme « réalistement » absent, mais présent quand même en son goût dérisoire pour les biens mobiliers ou immobiliers dont il vient d’être dépossédé par quelque catastrophe ou simplement le cours balayeur du temps. »  

Sur la peinture de Stacha Halpern (texte de 1958) : « La mer est parfois hideuse et l’on peut avoir autant de répugnance pour certaines vagues que pour certains déchets de viande. Mais Stacha Halpern est peintre : et il nous fait chérir à la fois le bœuf écorché et la mer. »

L’atelier de Brancusi est décrit comme le poète imaginait enfant la mercerie de ses parents – liste et analogie.

Pour Mario Prassinos, Raymond Queneau, alliant sérieux de l’analyse et allégresse du style, écrit des sortes de versets souples.

Ailleurs, la phrase a des nettetés de sentence : « Si la fonction du peintre est de révéler dans l’univers ce que l’œil commun ne sait y voir et si, mieux même, elle oblige ce monde à se montrer objectivement tel que la sensibilité de l’artiste le transcrit d’avance au moyen de couleurs étalées sur une surface plane, alors Prassinos peut se dire peintre. (…) Il y a des femmes-Prassinos qui attendent de vivre, et d’être aimées. »

Admiration pour le riche Dubuffet, son intelligence, sa défense de l’Art brut, mais aussi pour Miro, « poète préhistorique », plusieurs fois décrit, approché, déchiffré en ses clairs miroirs opaques.

Pour savoir regarder la peinture, il faut probablement savoir contempler un tas de pierres tel le commencement du monde, une branche de tilleul, un nuage bref (lire ici page 83 le dialogue entre Polonius et Hamlet sur la mutabilité des identités).

Queneau écrit avec malice : « Que le peintre qui va sur le motif se méfie et qu’il se garde bien de changer quoi que ce soit au paysage qu’il se propose d’étendre sur sa toile, sinon le paysage changera à son tour et voudra ressembler à l’image que l’on a donnée de lui, se modifiant en conséquence. »

Raymond Queneau, Allez-y voir ! édition établie, présentée et annotée par Stéphane Massonet, Gallimard, Les Cahiers de la NRF, 2024, 208 pages

https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Les-Cahiers-de-la-NRF

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