
©Jean-Michel André
« La chambre des enfants était la 207 : j’y ai laissé ma mémoire et mon enfance. »
Pourquoi, comme Jean-Michel André, auteur du très maîtrisé et humainement profond Borders (Actes Sud, 2021), photographie-t-on ?
Pourquoi allons-nous vers l’art ?

©Jean-Michel André
Comment se libérer de nos hantises, de nos démons, des couteaux qui nous entaillent intimement depuis si longtemps ?
Comment trouver un chemin de conciliation, de paix, de retrouvailles peut-être, entre les vivants et les morts ?
Les faits sont terribles, impensables, je recopie ce qu’en disent les éditions Actes Sud dans leur communiqué de presse : « Le 5 août 1983, le père de Jean-Michel André est assassiné avec six autres personnes dans un hôtel d’Avignon. Ils étaient ensemble sur la route des vacances. L’affaire n’a jamais clairement été élucidée, mais l’enquête a néanmoins fait apparaître un mobile : une tentative de hold-up menée par des malfaiteurs « sans envergure » qui a dégénéré en carnage. Agé de sept ans et présent dans une chambre attenante à celle de son père à l’époque des faits, Jean-Michel André, sous le choc, perd la mémoire. Quarante ans plus tard, il revisite et photographie des lieux qu’il a pu – qu’il aurait pu – traverser avec son père. Il mêle éléments d’enquête, archives de presse et objets familiaux à ses photographies pour composer un recueil questionnant la mémoire, le deuil et la réparation. »
Tout est dit, et rien n’est dit de la folie, du traumatisme, du destin.

©Jean-Michel André
Sept ans est l’âge de raison, confronté ici à la déraison absolue.
Il est rare de renaître – combien de fois dans une vie ? -, rare de se métamorphoser, rare d’aller vers la lumière quand tout est si assombri, désespérant, banalement écœurant.
Le travail photographique de Jean-Michel André est impressionnant, qui, à partir des objets et archives les plus concrets, trace un chemin de réinvention de soi.
Il faut pour cela passer des tempêtes, affronter le noir, trouver le chas de l’aiguille.
Il pleut des larmes de pétrole, le ciel est une énigme à la Odilon Redon, l’impossible crée un trou en l’être.

©Jean-Michel André
Nous sommes surface de vibrations, les générations souffrent de maux qu’elles n’identifient pas toujours, remonter à la source est la quête d’une vie.
L’art a peut-être ce pouvoir : quelqu’un se dresse, lance un chant – un acte poétique -, rompt le cycle du malheur.
Ne rien retenir pour tout retenir, et tout changer.
Opérer une révolution intérieure.
Brûler mots et images pour découvrir dans les cendres notre futur visage.
« Je me rends à Avignon sur les lieux du drame, confie Jean-Michel André, dans la région d’Arles, où a été retrouvé l’un des inculpés, mais également en Corse, où nous devions nous rendre en août 1983. Je suis allé en Allemagne, où mon père exerçait pour les Affaires étrangères, et au Sénégal, où j’ai passé ma petite enfance avec mes parents. Je remonte le temps sur les traces d’une mémoire disparue. »

©Jean-Michel André
Affaires étrangères… On ne peut que conjecturer : le crime n’était-il qu’un fait divers atroce, ou avait-il une dimension plus politique ?
Hôtel Sofitel, montre paternelle, une de Paris Match.
Lire les rapports de la police – le livre au format A4 reprend le format des dossiers d’enquête.
Fouiller les paysages, les visages effacés, les lieux du drame – plan de l’hôtel.

©Jean-Michel André
Un héron s’envole – dans sa belle postface Clément Chéroux évoque « le sentiment d’élévation que permet la sublimation ».
Un enfant dessine comme il peut son incompréhension, écrivant parmi les couleurs : « La police cherche le bandi »
Marcher dans les landes camarguaises.
D’un côté, le mal, le sang répandu, le rétrécissement de l’âme, de l’autre l’indemne, un sentiment de vastitude, un allègement.
Miracle des flamants roses tranquillement installés parmi les roseaux.

©Jean-Michel André
Où partent les défunts ? Se transforment-ils en arbustes, en rais de lumière, en poussière du désert, en enfants courant sur la grève ?
« Les mots n’existent pas forcément pour révéler des blessures, des failles, écrit Jean-Michel André au terme de son livre. Je peux donner l’impression de me dénuder, mais je reste pudique, je ne dévoile pas tout. Je travaille sur les lisières, sur le fil, tel un funambule qui avance en essayant de ne pas chuter, de rester concentré. »

Jean-Michel André, Chambre 207, postface Clément Chéroux, Actes Sud, 2024, 152 pages
https://www.actes-sud.fr/contributeurs/jean-michel-andre
Institut pour la photographie (Lille), exposition hors-les-murs au Musée de l’Hospice Comtesse, du 16 octobre 2024 au 2 février 2025
https://www.institut-photo.com/event/chambre-207/

©Jean-Michel André
Jean-Michel André est représenté par la galerie Sit Down (Paris), qui présentera l’exposition en 2025, en partance ensuite pour la Corse, à la galerie Una Volta, à Bastia
https://sitdown.fr/portfolio/jean-michel-andre
https://una-volta.com/category/lieu/galerie-una-volta/

Lire ma chronique sur Borders : Au-delà des frontières, par Jean-Michel André, photographe, et Wilfried N’Sondé, écrivain – Le blog de Fabien Ribery (lintervalle.blog)
