Au-delà des frontières, par Jean-Michel André, photographe, et Wilfried N’Sondé, écrivain

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© Jean-Michel André

On ne sait pas où l’on est exactement – en Europe, en Afrique, en France, en Espagne, à Calais, now, here, nowhere -, la carte a été effacée, perdue, pulvérisée avant d’être mentalement intégrée.

S’il faut attendre, une traversée, un passage, un passeur, il faut surtout avancer, ne pas perdre espoir, tenir, avoir les nerfs.

La frontière est de sable, de neige, de mer, qui peut être aussi, les heures de mélancolie et de désespoir, une muraille intime.

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© Jean-Michel André

Elle prend l’aspect d’une forêt dense, d’un chemin escarpé, d’un grillage surmonté de fils de fer barbelés financés par l’Union Européenne.

Tel est ce que montrent les photographies de Jean-Michel André, à la limite de l’abstraction, pour un livre de beauté douloureuse publié chez Actes Sud, Borders.

Leur dimension plasticienne n’est pas un oubli de l’humain, bien au contraire, quand il s’agit de donner aux traces de la migration clandestine une portée universelle.

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© Jean-Michel André

La montagne est impassible, presque indifférente, mais, si l’on regarde bien, il y a là-bas, là-haut, un fortin, une maison improbable, une cabane de salut.

Seuls les aigles savent tout, plus perspicaces et voyants que tous les drones de surveillance quadrillant le territoire.

Des dunes, des oyats ; de grands feuillus, une route neuve et sinueuse enjambant quelque vallon, comme on va, dans les lacis, vers son destin.

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© Jean-Michel André

Le vide est habité, les humains se cachent, sont tapis, mais restent intérieurement debout, en alerte, aux aguets.

Les mots de l’écrivain Wilfred N’Sondé, né en 1968 à Brazzaville, et rencontré lors d’une exposition du premier volet de Borders à la galerie de l’Institut français de Tunis, accompagnent avec beaucoup de force les photographies : « Ils sont ceux qui se couchent dans la boue, manquent de s’enliser, résistent pourtant et se noient parfois sous la vague déferlante. Des fuyards, un pas, puis un autre, encore un effort vers l’avant, ne jamais abandonner, ils sont habités par une force irrésistible, l’attrait de là-bas… atteindre l’autre côté, à n’importe quel prix. »

L’enfance est loin désormais, mieux vaut regarder devant, loin devant.

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© Jean-Michel André

« Même su leur pouls a déjà ralenti, se contrôler, respirer, garder son sang-froid. Ils se sont endurcis / depuis l’envol hasardeux, vers l’inconnu. Corps maigres, proches de la chute, / équilibre précaire, ailes de plomb. »

Les ombres errantes sont couvertes de poussières rouges, de végétaux, d’obscurité.

Les invisibles portent des casquettes, des chèches, des voiles, et ont le visage des frères humains de toujours.

Des paysages secs, désolés et sublimes, voient leurs peines.

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© Jean-Michel André

Les nuques sont fières, elles n’abandonneront pas l’horizon.

Au large, c’est peut-être la délivrance, avant un nouvel enfermement, l’île de Lampedusa tant attendue.

La nuit leur appartient, dangereuse et salvatrice.

Apparaissent des yeux, des bouches, des nez, des mentons, des pilosités : ils sont là, déterminés, concentrés sur leur objectif de meilleure vie, alors que nous dormons.

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© Jean-Michel André

Passent des nuages, des corneilles, les vents du désert, plus rapides que souffle d’homme.

Tiens voilà un cheval, un flamant rose, un banc de poisson, la vie brute et désirable, tranquillement installée dans son ordre.

On pense à Sylvain George, poète et cinéaste, à son recueil Noir inconnu (De l’Incidence Editeur, 2019), à la révolte froide.

Aux réfugiés, aux exilés, aux relégués, aux pourchassés, Jean-Michel André et Wilfried N’Sondé offrent un livre de partage, hommage à leur courageuse odyssée dans un monde préférant les eaux froides des calculs égoïstes aux merveilles des mythes, et des partages fraternels.

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© Jean-Michel André

Jean-Michel André, Borders, texte de Wilfried N’Sondé, Actes Sud, 2021, 110 pages – 65 photographies

Jean-Michel André

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© Jean-Michel André

Site Actes Sud

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2 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. didier falleur dit :

    Quelle est donc cette montagne
    celle que nous gravissons en quête de sensation
    pour atteindre son sommet par des cols éloignés
    et qui nous font sentir notre poids et celui du sac que nous portons
    celle que nous avons choisi pour dire que nous l’avons fait
    avec la carte à coté de la main
    pour ne pas se perdre
    ce col en plus
    ce sommet en plus
    ce bonheur de gravir encore une fois
    cette pente abrupte et austère
    et le plaisir d’arriver sur sa crête et de contempler
    le paysage qui s’offre à nos yeux toujours ébahis de tant de beauté

    Quelle est donc cette montagne
    celle qui effraie celui qui fuit
    sans carte et sans boussole
    celle qui enveloppe
    dans sa nuit intense
    celui qui pense
    se sauver du massacre
    s’extirper de la misère
    mais ce col sera une souffrance
    et la neige ralentira sa marche
    et l’emmènera où il ne sait pas
    secouru peut-être par des hommes
    ou pas
    et sa vie peut-être s’arrêtera là
    blotti contre un rocher ou sous un arbre
    qui ne le protégeront pas de la nuit scélérate
    celle qui tue celui qui se sera perdu
    et qu’on retrouvera un jour
    blotti contre ce rocher ou sous cet arbre
    et qui ne pourra plus dire d’où il vient
    et ce qu’il était venu chercher

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  2. Faith P dit :

    This is a grreat post

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