© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Il y a la Normandie, patrie de Guillaume le Conquérant, des moines de l’abbaye de Jumièges, des premiers impressionnistes, de Guy de Maupassant, de Gustave Flaubert, du génial Eugène Boudin, de Marguerite Duras et des voyous chics de Jean-Pierre Melville (chacun complètera la liste).
Mais il y a aussi le Normandie, le plus grand paquebot du monde en 1932, construit dans les ateliers de Saint-Nazaire.
« Dans l’axe du navire et faisant suite au hall s’étend la perspective lumineuse de la salle à manger monumentale qu’on a pu comparer pour ses dimensions à la Galerie des Glaces de Versailles. »
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Emblème des années 1930 et du raffinement, ce navire transatlantique n’eut qu’une courte vie de sept années, mais il est toujours, à travers le temps, le symbole du luxe et de la qualité à la française.
Il était donc logique que Louis Vuitton s’intéresse pour sa collection Fashion Eye à ce superbe vaisseau des mers photographié à de nombreuses reprises, notamment pour les magazines Harper’s Bazaar et Match, par Jean Moral.
Né en 1906 à Marchiennes, dans le nord de la France, Jean Moral fut photographe avant que de se consacrer au dessin et à la peinture, jusqu’à sa mort en 1999.
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Ayant accompagné les étapes de la construction du Normandie, ses images sont précieuses, qui restituent l’atmosphère d’une époque.
Une dame tenant en laisse son Loulou sur le pont neuf du géant, et entamant un pas de deux aérien – grâce d’un mannequin.
Des matelots, la salle de commandement panoramique, les instruments de navigation.
Un chantier pharaonique, des grues, des échafaudages, des échelles, des tonnes d’acier.
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Des ouvriers, la noblesse des métiers, le travail bien fait.
Un train apportant les matériaux innombrables.
Des forges, des câbles, la brume qui se lève.
Normandie est un hymne au savoir-faire made in France, et à la puissance d’une utopie portée jusqu’à sa concrétisation finale par les finances publiques.
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Temps de traversée Le Havre-New York ? quatre jours et trois heures.
Des transats installés sur le pont, des couvertures en laine, la fierté d’en être.
Ça virevolte dans le cadrage, les coupes d’angles, la géométrisation de la vue : on n’est pas loin des formalistes russes.
Tailleurs, art de la mode, on vend du rêve et des sourires.
Les images de Jean Moral pourraient être quelquefois les photogrammes d’un film à la Capra : la vie est belle, il suffit de le décider, et d’accepter l’aide des anges.
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
L’archive ressurgit, qui donne le vertige : 1347 membres de l’équipage, dont 136 personnels de cuisine, pour un total de 1715 passagers – 750 en première classe.
Un hall comme un palais aux portes monumentales.
Des parois revêtues d’onyx d’Algérie.
Quatre ascenseurs aux cages gainées de bronze doré.
Sept étages.
Un fleuriste. Un salon de coiffure, un bureau de tourisme.
Une salle à manger aux 135 000 bougies.
Des revêtements muraux Labouret, des luminaires Lalique.
Un grand salon de 700 m2 et de 9m50 de hauteur.
Un fumoir menant à la scène du Théâtre.
Une piscine de 25 mètres.
© Jean Moral / Louis Vuitton Fashion Eye
Pour que tout cela fonctionne, le peuple quasi invisible des mécanos, des cuisiniers, des hommes et femmes de ménage.
Et dans les soutes, une ribambelle d’animaux en cage, chats et chiens mis à l’isolement.
– Vous prendrez bien un drink, Madame ?
– Volontiers, jeune homme.
– Le temps est superbe, n’est-ce pas ?
– Un ravissement.
– Quel est le numéro de votre cabine ?
– 58, mais retrouvons-nous après le dîner si vous le voulez bien.
Ball trap, exercices de golf, pingpong, lits moelleux, nul ne s’ennuiera où le destin est favorable.
La Compagnie générale transatlantique s’est beaucoup servie de la photographie pour promouvoir son entreprise.
Jean Moral, qui ne fut pas insensible aux apports esthétiques du courant de la Nouvelle Objectivité, accepta la commande d’une entreprise puissante, mais aujourd’hui, plus de quatre-ans plus tard, la logique publicitaire paraît bien moins prégnante que le bonheur de photographier la modernité d’un navire effaçant dans son sillage les horreurs d’une Première Guerre mondiale ayant fait honte à l’humanité en nous.

Jean Moral, Normandie, texts Sylvie Lécallier et Sylvain Besson, editorial director Julien Guerrier, editor Valérie Viscardi, editorial officer Anthony Vessot, Louis Vuitton, collection Fashion Eye, 2021
thanks for this
J’aimeJ’aime