
Marie agrippant le palmier dattier, miniature persane, Qazvin · Persian School
« Coupes et calices me sont devenus / Oreiller / Rêve sur l’oreiller // Du temps de la naissance / Dans la forêt de l’allaitement et du sevrage / Je déplace mes cloches la nuit à l’église du jour / La sève est ma liturgie entre le pollen et les fruits / Et les feuilles sont le baptême. » (Adonis)
On pense souvent à Mahmoud Darwich en lisant le poète Adonis, pour les thématiques, le lexique, cette rencontre entre le petit point de l’histoire personnelle et les drames collectifs, le souffle de l’exil outrepassant la douleur d’un seul peuple.
Mercure de France republie aujourd’hui, dans une traduction de Aymen Hacen qui signe aussi une très belle préface, Métamorphoses, migration, quatrième recueil de l’écrivain syrien, paru en 1965 à Beyrouth, ville où il avait trouvé refuge après son emprisonnement dans son pays natal.
« Marchant à l’ombre au milieu des bourgeons et de l’herbe, je construis une île. »
Composé de quatre parties, cet ouvrage est un parcours entre le temporel et le spirituel, le premier livre étant placé sous l’autorité du mystique musulman mésopotamien Al-Niffari, les deux sections centrales sous celle du fondateur omeyade de l’émirat de Cordoue Abd al-Rahman al-Dakhil surnommé Le Faucon, la dernière station évoquant à la fois le Coran et saint Grégoire de Palamas.
« Avant que ne vienne le jour, je viens / Avant qu’il ne s’interroge sur le soleil, j’éclaire »
La poésie d’Adonis, où la notion d’extase est si importante, est-elle l’une des branches du soufisme ? On peut le conjecturer.
Le premier poème tiré du livre Fleur de l’alchimie peut être appris par cœur (professeurs, transmettez-le à vos élèves) : « Je devrais voyager dans le paradis des cendres / Parmi ses arbres secrets / Dans les cendres les mythes, les diamants et la toison d’or. // Je devrais voyager dans la faim, dans les roses, vers la moisson / Je devrais voyager, me reposer / Sous l’arc des lèvres orphelines, / Dans lèvres orphelines, dans leur ombre blessée / L’antique fleur de l’alchimie. »
Adonis, c’est la célébration de la singularité de l’Orient, les jours de pierre et de feu, la ville de Damas, la voix de l’Euphrate, le miroir des déserts.
« Le ciel s’est ouvert, / La terre / Est devenue livres, et Dieu est dans chaque livre / Eveillé »
Adonis, c’est le cri du retour, le chant des prophètes, la hâte des nuages, la parole comme source.
« Nous continuons de tisser Damas / Ni la mort ni rien d’autre ne nous en détournera / Comment mourir ou se reposer Damas ? »
Adonis, c’est l’étrangeté comme patrie des poètes.
« Qui élira sur les dattiers demeure et portera le keffieh des palmiers ? »
Adonis, c’est la paix.
« Je n’ai pas porté de lance ni décérébré / De tête, / Eté comme hiver / Je m’envole tel un oiseau / Dans le fleuve de la faim… vers son embouchure ensorcelée. // Mon royaume revêt le visage de l’eau, / Je possède dans l’absence / Je possède dans l’étonnement et la souffrance / Dans l’éclaircie ou la pluie / Nulle différence si je m’approche ou m’éloigne – // Mon royaume est dans la lumière / Et la terre est porte de la maison. »
Saint Grégoire de Palamas est cité (professeurs, transmettez cela à vos élèves) : « Le corps est la coupole de l’âme. »
L’amour peut naître : « J’étais enfermé dans les tours du rêve / Je dessinais autour d’elles mes formes / J’inventais des secrets dont je remplissais les chas des jours ; / J’ai gravé sur tes membres les braises de mes membres / Je t’ai écrite sur mes lèvres et mes doigts / Je t’ai creusée sur mon front et j’ai varié la lettre et l’épellation et j’ai multiplié les lectures. »

Adonis, Métamorphoses, migration, nouvelle traduction de l’arabe par Aymen Hacen, 2024, 160 pages
https://www.mercuredefrance.fr/Auteurs/adonis
