Molière à l’imaginative, par Georges Forestier, écrivain


Nicolas Mignard (1606-1668). Molière (1622-1673) dans le rôle de César de la « Mort de Pompée », tragédie de Corneille. Paris, musée Carnavalet.

« Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation. » (Magdelon, dans Les Précieuses ridicules)

Lorsqu’en hypokhâgne, le professeur de lettres me demanda quels étaient mes écrivains préférés, j’ai répondu, à sa grande stupéfaction pour au moins deux d’entre eux, Molière, Françoise Sagan et Philippe Sollers.

J’ai à peu près tout lu de ce dernier, moins lu au fil du temps l’auteure de Bonjour tristesse, et continué à fréquenter constamment l’œuvre de Molière.

J’aime reprendre ses pièces, étudier des scènes, les transmettre. C’est un génie, comme Chaplin si l’on veut.

Il me plaît aujourd’hui d’ouvrir Molière, la musique d’une vie, de Georges Forestier, récit imaginaire de la vie de l’acteur-dramaturge par le comédien Nicolas Drouin dit « Dorimond », son ami et rival, dictant ses mémoires au secrétaire du village de Saint-Fargeau, dans les dépendances du château de sa protectrice la duchesse de Montpensier, alors que la Camarde le guette, à 45 ans.

Le style, d’érudition partageuse, est assez scolaire, le texte, accompagné de deux CD, est lu par un Denis Podalydès manquant souvent d’allant (pléonasme ?), mais peu importe, le plaisir de la redécouverte l’emporte.

Tout commence par la mort, quelle ironie, de Jean-Baptiste, le 17 février 1673 après la quatrième représentation de sa dernière pièce, la comédie-ballet Le Malade imaginaire.

En moins d’une vingtaine d’années, Molière, « le plus génial acteur comique de notre temps », d’abord reconnu comme excellent tragédien, est devenu un géant, renouvelant son art, s’épuisant au travail, enthousiasmant d’abord, après un premier échec à Paris qui ne pouvait souffrir trois troupes françaises et une italienne, le Languedoc et le Rhône, puis Louis XIV, qui le réclama souvent.

On invite ce bel esprit dans les salons à la mode, on le sait libertin, il observe, apprend, et écrit bientôt pour lui le rôle du marquis de Mascarille dans Les Précieuses ridicules (1659).  

Donnant à lire des extraits de pièces dans leur ordre chronologique, Molière, la musique d’une vie est composé de courts chapitres centrés notamment sur la révolution qu’apporta le membre fondateur de L’Illustre Théâtre (1643-1645) dans le domaine du rire, faisant passer la farce au statut de « petite comédie », puis de grande comédie, prenant pour sujet le comportement des hommes dans la société contemporaine.

En créant le personnage de Sganarelle (ou le Cocu imaginaire) et en abandonnant le demi-masque à l’italienne pour le visage découvert, Molière continue à réinventer le comique.

Il joue de nouveau Sganarelle, bourgeois rétrograde, dans L’Ecole des maris (1661), la pièce est un succès, Molière devient à la mode.

Fouquet l’invite à créer une pièce inédite pour ses célèbres fêtes organisées dans son château de Vaux-le-Vicomte, ce sera Les Fâcheux, satire de ces courtisans peuplant la cour et les salons.

« Chacun sait, fait dire Georges Forestier à Dorimond, la splendeur de cette mémorable fête du 17 août – on m’a raconté que le même prologue des Fâcheux avait donné lieu à de stupéfiants jeux de machineries et d’effets spéciaux dus au génial scénographe italien Torelli – et chacun sait l’arrestation trois semaines plus tard de Fouquet et de son plus proche conseiller, le poète Pellisson. A l’heure où je dicte ces mémoires, si Pellisson, depuis longtemps rentré en grâce, occupe une place en vue à la Cour de Louis XIV, le malheureux Fouquet moisit toujours dans la forteresse de Pignerol, sans qu’on sache si la rancune du roi à son encontre s’apaisera jamais. »

On commence à appeler Molière « le Peintre », pour sa capacité à sentir l’air du temps et à jeter un miroir à la société.

A partir de 1661 – il épouse alors Armande Béjart -, ce sont les grandes comédies en cinq actes et en vers.

Voici L’Ecole des femmes (1662) : « Courroucé. Mais pourquoi faut-il qu’il s’en courrouce ? / C’est une chose, hélas ! si plaisante et si douce. / J’admire quelle joie on goûte à tout cela. / Et je ne savais point encor ces choses-là. « (Agnès)

Molière se bat contre détracteurs et cabaleurs avec La Critique de l’Ecole des femmes (1663) et L’Impromptu de Versailles, et commence à composer la première version de Tartuffe ou l’Hypocrite, alors que le roi lui commande des pièces (Le Mariage forcé, dansé au Louvre en 1664, et La Princesse d’Elide).

Après avoir ri à la représentation du Tartuffe, le monarque, sous la pression des dévots, l’interdit, sans retirer à Molière son soutien sincère.

Le dramaturge répond avec Dom Juan (1665), ou l’histoire d’un séducteur libre penseur foudroyé pour son irreligion, tout en composant un autre impromptu, L’amour médecin qui sera joué à Versailles.

En 1666, c’est Le Misanthrope : « Quel besoin, si pressant, avez-vous de Rimer ? / Et qui, diantre, vous pousse à vous faire Imprimer ? / Si l’on peut pardonner l’essor d’un mauvais Livre, / Ce n’est qu’aux Malheureux qui composent pour vivre. / Croyez-moi, résistez à vos tentations, / Dérobez au Public, ces Occupations ; / Et n’allez point quitter, de quoi que l’on vous somme, / Le nom que, dans la Cour, vous avez d’honnête Homme, / Pour prendre, de la main d’un avide Imprimeur, / Celui de ridicule, et misérable Auteur. » (Alceste)

Molière s’inspire d’un fabliau pour Le Médecin malgré lui, en reprenant le rôle de Sganarelle, jouant parfois au cours de la même séance cette pièce à succès associée au Misanthrope.

Sgnaralle : « Peste ! le joli Meuble que voilà. Ah Nourrice ! charmante Nourrice, ma Médecine est la très humble Esclave de votre Nourricerie ; et je voudrais bien être le petit Poupon fortuné, qui tétât le Lait de vos bonnes grâces. » / Lucas : « Ah vartigué, Monsieur le Médecin, que de l’antiponages. »

Il relit Plaute pour écrire Amphitryon (comédie en trois actes) et L’Avare (cinq actes en prose rythmée), fidèle à son principe désormais sans cesse rappelé pour déjouer les foudres des censeurs : « Corriger les hommes en les divertissant. »

Harpagon : « Que diable toujours de l’argent ! Il semble qu’ils n’aient autre chose à dire, de l’argent, de l’argent. Ah ! ils n’ont que ce mot à la bouche, de l’argent. Toujours parler d’argent. Voilà leur épée de chevet, de l’argent. »

A l’occasion de la reconquête de la Franche-Comté, le roi commande une nouvelle pièce, Georges Dandin (trois actes), qui sera un triomphe, et une véritable réussite commerciale en librairie, Molière faisant vendre le livre au double du prix habituel.

Au moment des Femmes savantes, Molière, précise Georges Forestier, est à son zénith.

Trissotin : « Allez, petit Grimaud, Barbouilleur de Papier. » / Vadius : « Allez, Rimeur de Balle, opprobre du Métier. » / Trissotin : « Allez, Fripier d’Ecrits, impudent Plagiaire. »

Pour les fêtes de Chambord, ce sera Monsieur de Pourceugnac, festival de langages parlés et chantés, entre occitan et pseudo-patois picard.

Premier Médecin : « Je ne m’étonne pas s’ils ont engendré un Fils qui est insensé. Allons, procédons à la curation, et par la douceur exhilarante de l’harmonie, adoucissons, lénifions, et accoisons l’aigreur de ses esprits, que je vois prêts à s’enflammer. »

Viendront ensuite Les Amants magnifiques et la turquerie Le Bourgeois gentilhomme.

Monsieur Jourdain : « Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la Prose, sans que j’en susse rien ; et je vous suis le plus obligé du monde, de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un Billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante ; que cela fût tourné gentiment. »

Le musicien Lully est souvent de la partie, aussi le maître de danse Beauchamp, l’intendant des plaisirs et scénographe Carlo Vigarini, adepte des effets spéciaux.

La trame du Phormion de Terence inspire celle des Fourberies de Scapin, où Molière renoue avec l’esprit de la farce, le dramaturge alternant sur la scène du Palais-Royal grandes comédies en vers, comédies-ballets et grands spectacles.

Il y a beaucoup de vrai-faux latin dans Le Malade imaginaire, la langue se brouille, explose, s’amuse d’elle-même.

Molière peut mourir en pleine gloire, mais c’est une ultime ruse, il est là, chez Georges Forestier, sur les scènes de notre pays, dans les écoles, dans la mémoire populaire.

Géronte : « Que diable allait-il faire dans cette Galère ? »

Georges Forestier, Molière, la musique d’une vie, Gallimard / harmonia mundi, 2024, 178 pages

https://www.gallimard.fr/catalogue/moliere/9782070135066

Livre accompagné de deux CD – texte lu par Denis Podalydès, musique enregistrée par Les Arts Florissants sous la direction de William Christie

Scènes de Molière enregistrées en prononciation restituée par les comédiens du Théâtre Molière Sorbonne 

https://www.leslibraires.fr/livre/23680959-moliere-la-musique-d-une-vie-le-recit-imaginaire-de-dorimond-georges-forestier-gallimard?affiliate=intervalle

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