Suivre sa route, par Claude Minière, écrivain

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Les Coquelicots, 1873, Monet

« Mais un pays comme hier ? / De toute façon c’est l’hiver / Qui pousse les feuilles le sol dur / Je vais en Silésie, pays de silex / Et des anges, je vais voir l’Angelus / Il y eut là-bas des savants dans les livres / Comme celui qui dit je souhaite être / Trois choses : illuminé comme un chérubin / Calme comme un trône, enflammé comme un séraphin / Non mais, le croirait-on ? »

Quelle est la patrie d’un écrivain ?

Ses livres, à venir/advenus ? sa langue réinventée ? la tonalité d’une musique singulière ?

Présenté plusieurs fois dans L’Intervalle – notamment avec Encore cent ans pour Melville (L’Infini, 2018), Un coup de dés (Tinbad, 2019), Refaire le monde (Gallimard, 2021) -, Claude Minière considère Patrie, publié à Rochefort par Les Petites allées, comme son dernier livre.

On peut donc le lire comme un testament, ou un adieu à la littérature, ou tout simplement une adresse aux lecteurs : j’ai fait l’homme, et dûment (Montaigne), à votre tour, les amis.

« Maintenant se présente la dernière ligne droite / Elle est un peu cabossée / Moi qui suis boiteux de naissance / J’ai quand même bien marché »

Règne dans Patrie le sentiment si troublant de la Heimat, terre d’enfance, maison natale, puissance fécondante du chez soi, climat sacré d’une première enveloppe amniotique.

Ce court ouvrage est une rivière, une suite de strophes, un lied schubertien.

« La montagne était belle mais je ne crois pas / Que je reviendrai à cause du parfum / Des pêches dans la vigne trop doux le souvenir / L’humide odeur de mes vêtements / Est-ce qui reste / D’un événement ancien, qui laisse une tristesse »

La vie s’éloigne, non seulement la nôtre, mais la chair même d’un monde dévasté/masqué par les procédures cybernétiques.

Est-ce le dernier hiver ? Peut-être.

Sera-t-il long ? Peut-être.

Hôpital.    

« Je pense pouvoir tenir l’hiver / Mais j’ai froid de la tête aux pieds / J’accroche une lanterne je force la nuit / A n’être point complète, à parler encore »

Graines d’orge, luzerne, gel.

« J’étais parti pour écrire Le tour de France par un enfant et puis j’ai rencontré / Des bêtes, des moustiques, des éléphants / Et je suis revenu à mes premières amours / A mes phrases archeiropoïetes / D’où sortirait une vérité parfaite »

S’asseoir parmi les coquelicots, trouver le centre, le dire, l’écrire, une vie passe.

Venise, Pound, solitude.

« Il y a là-bas cette femme vue de dos / Neige, lune, fleurs, le poème / Dessine un pays, ses plaines / Ses montagnes, ses cascades / Des rivières, des cavernes / Les murailles et des ponts, des maisons / Sur les sommets sont placés les dieux / Dans les gouffres sont placés les damnés / Laissez travailler les écrivains morts / Ne les sortez pas dans l’actualité »

Ne les sortez pas dans l’actualité.

Claude Minière, Patrie, Les Petites allées, 2025

https://www.lespetitesallees.fr/edition/les-collections/patrie/

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