
©Sergio Lovati
L’intensité poétique que des auteurs quasi confidentiels engagent dans leurs livres de photographie, généralement tirés à un petit nombre d’exemplaires et faits à la main, ne cesse de m’enthousiasmer.
Je ne sais plus par quelles voies je suis rentré en contact avec Sergio Lovati, mais les livres qu’il m’envoie, Gelo et Incantamento, sont tout simplement somptueux.
Tous deux sont imprimés avec grand soin sur papier ivoire, le second étant un Leporello de petit format.

©Sergio Lovati
Le mystère règne, tout est délicat, on pense à la théorie de l’image-temps de Gilles Deleuze, et au cinéma de Michelangelo Antonioni.
Il y a quelque chose dans l’opuscule Gelo d’un tapis de loge maçonnique, mais inscrit en secret dans le paysage, le travail de l’artiste étant d’opérer le dévoilement de cette trame initiatique au cœur même du vivant.
La brume enveloppe les scènes, une manière d’enténèbrement créant l’unité entre la terre et le ciel, la roche et l’herbe, les architectures humaines et les empreintes végétales.

©Sergio Lovati
Chaque photographie est une vision, un microcosme, un monde silencieux bruissant de traces muettes.
Chez Sergio Lovati, toute présence se soutient d’une absence fondamentale, son corpus relevant d’un univers spectral, secrètement habité.
Bas-relief d’un travailleur probablement en bronze, grilles de fer dont s’échappent des branchages, noir profond où part se cacher l’eau de quelque rivière.
Svastika en bois déstructurée, damier de révélation, peintures écaillées d’un mur aveugle.
Sous l’impeccable maintien des formes, on perçoit des fissures, des taches, des zones de fragilité.

©Sergio Lovati
En ses images énigmatiques donnant le sentiment de relever du sacré, Gelo crée un temple profane pour tous.
On pourrait l’appeler avec lui Citta del sole.
Colonnes, perron, marches.
Le risque pris à associer l’ensemble des images composant ce livre d’artiste éblouit, car tout participe d’un choix parfait, comme une ode sans aucune fausse note à l’inconnu, comme un chant lancé vers l’invisible.

©Sergio Lovati
On peut ainsi recevoir et penser Incantamento dans cette dimension d’hymne, d’éloge de l’ombre, voire d’oratorio.
Les images de petit format obligent le spectateur à un effort d’attention, et à redoubler de précaution dans le maniement du Leporello, les œuvres de Sergio Lovati pouvant se lire comme les étapes d’un vaste poème continu, ouvert sur l’infini.
On est ici du côté du romantisme noir, du sublime, et de la solitude ontologique face à l’incommensurable.
Mais l’on n’est pas seul, il y a la figure d’un saint, de la vie derrière le spectacle de la fixité, troncs d’arbres ou façades d’immeubles, des chemins dessinés dans l’obscurité.

©Sergio Lovati
Tiens, voici un dos humain, un dos frère, celui de Sisyphe ou d’Atlas, ou de quelque pécheur entré en repentance.
C’est Lenz arrivant chez le pasteur Jean-Frédéric Oberlin après avoir franchi un dernier col de montagnes, la tête à l’envers, inquiet, alors qu’autour tout est paisible et d’un accueil fondamental.
Avec Sergio Lovati, nous entrons au désert, allons vers l’essentiel, dans le refus du divertissement qui est un détournement de l’être.
Il s’agit d’initier un renversement du regard, de ne plus jeter nos yeux vers l’extérieur, mais de nous rendre disponible à la chance d’un renouvellement intérieur.

©Sergio Lovati
Sergio Lovati, Gelo, Deserter’s Books, 2023, 40 pages – 30 exemplaires

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https://www.sergiolovati.com/gelo2

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Sergio Lovati, Incantamento, Deserter’s Books, 2024, 34 pages – 30 exemplaires

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