Le testament de Jean Cocteau, par Orphée, écrivain

Chapelle Saint-Pierre de Villefranche, Jean Cocteau

« De même qu’il y avait à Rome, outre les Romains, un peuple de statues, il existe en dehors de ce monde réel, un monde imaginaire, beaucoup plus vaste peut-être, dans lequel vivent la plupart des hommes. » (Goethe)

Publié aux éditions Plon à Paris un an avant sa mort, pour une collection dirigée par Denise Bourdet intitulée « Moi et mes personnages », Le cordon ombilical, de Jean Cocteau, peut être considéré comme une œuvre de dimension testamentaire.

J’ai longtemps abordé les fantaisies médiumniques de l’ami de Picasso (lire leur correspondance, présentée dans L’Intervalle) comme un folklore, mais j’ai eu tort, Cocteau est véritablement un être habité, cherchant au-delà de ses différents personnages – publics, ou de papier -, la source même d’une création qui le dépasse, le surprend, le fonde et le refonde.

« Le meilleur de nous arrive d’une nuit profonde dont nous ne sommes que les intermédiaires. »

Encadrant son texte – frontispice et culs-de-lampe – de sonnets inspirés de la Renaissance italienne, le poète écrit : « Le destin il est vrai m’a donné une apparence humaine / Mais un étrange étranger habite en moi / Je le connais mal et il m’arrive à l’improviste / D’y penser comme on se réveille en sursaut // Parfois l’étranger me laisse en paix et somnole / Parfois il se démène dans sa cellule / Mes œuvres sont ce qui de lui s’évade / Avec police et meute à leurs trousses // Vous êtes me dira-t-on un drôle de corps / Il ne sert que de prison à un seul hôte / Tandis que plusieurs inconnus successifs le figurent // Etranger irascible je ne connais de toi / Que tes révoltes contre ces naïfs qui te servent / Et payent cher de désobéir à tes ordres. »

Sans nul doute, Jean Cocteau est un initié.

Le mondain l’avoue : il faut fuir les estrades de l’actualité, la hâte de l’époque, travailler à des chemins plus essentiels.

« Les muses, écrit-il, loin d’être de bonnes fées, sont des mantes religieuses dévorant le mâle pendant l’acte d’amour. (…) Les poètes doivent vivre au-dessus des moyens de leur époque et la gloire reconnaîtra les siens à ce qu’ils agonisent toute leur vie et même après leur mort. »

Pour l’écrivain au contact des forces de l’invisible, l’expression poète maudit est donc un pléonasme.

Guidé par Orphée, le poète est un seigneur cherchant inlassablement le Graal, lançant ses personnages dans le monde comme autant de chevaliers errants, restant attachés à eux par un indéfectible cordon ombilical – voir notamment les murs et les arches peints de personnages christiques, « comme prisonniers du sanctuaire », de la chapelle Saint-Pierre de Villefranche et de la salle des mariages de l’hôtel de ville de Menton.

« Un soir, au Japon, que je m’inquiétais de voir Charles Chaplin très las et que je lui en demandais la raison, il me répondit : « Pense au nombre de salles dans lesquelles je joue chaque soir. » Or il m’arrive d’éprouver une fatigue lorsque je pense au nombre de personnages que j’ai mis au monde et qui ont vite fait de prendre le large. »

Il arrive à Cocteau, intoxiqué par l’opium, de se rendre en hôpital psychiatrique.

Une infimière confie à son propos à Raymond Roussel : « Quand mon malade écrit, il fait une figure qu’on n’aimerait pas rencontrer au coin d’un bois. » 

On trouve aussi dans le dernier tiers du livre, chez cet amoureux de Marbella, un éloge de la patrie de Cervantès qui touche au vif : « En Espagne, l’exceptionnel est chose commune. Le peuple est un grand poète qui s’ignore et chez les gitans l’élégance royale s’exprime par une danse dont les sources viennent des Hiérophantes de Memphis et des bas-reliefs des temples de l’Inde, la paresse (napolitaine) par le dégoît de cirer des bottes et d’aller vendre les étoffes que les contrebandierss leur cèdent. S’y ajoute le mépris des touristes qui tapent des mains à tort et à travers et confondent leur trépignement sauvage avec les claquettes. »

Cocteau, c’est la flamme, c’est le phénix, c’est un démiurge.

« Un jour que je traversais le pont de Samois où je séjournais dans un hôtel de la berge, je vis passer sur la Marne un cortège de belles péniches neuves dont chacune portait le titre d’une de mes pièces ou d’un de mes livres. Jamais je n’ai cherché à savoir d’où me venait cette surprise et nombreuses sont les circonstances qui m’apprirent à l’improviste les mariages d’amour de mes enfants spirituels. »

Plus loin, cette certitude, ce mantra, cet upercut lancé par l’ami du boxeur sorcier Al Brown : « Vous ne m’aurez pas. »

Jean Cocteau, Le cordon ombilical, Allia, 2003 – réédition 2025

https://www.editions-allia.com/fr/livre/255/le-cordon-ombilical

https://www.leslibraires.fr/livre/24421229-le-cordon-ombilical-jean-cocteau-editions-allia?affiliate=intervalle

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