Collège de France, un nouage, par Carlo Ossola, historien de la littérature

Noeud de Salomon dans la salle capitulaire de l’abbaye de Fossanova (Latium), XIIIe siècle ©Nicola Giuseppe Smerilli

« Le Collège de France n’est pas un lieu de disciplines professées, comme dans les universités, par des « ayants titre ». Il est une « communauté » de recherche où les inquiétudes, les questionnements et la générosité d’esprit des chercheurs donnent forme à de nouveaux champs d’interrogations ; je suis heureux de terminer mon enseignement avec plus de doutes que de réponses grâce aux problématiques que la parole des collègues fait surgir si l’on est capable d’écouter vraiment. »

Dans sa leçon clôturant vingt ans d’enseignement au Collège de France prononcée le 9 décembre 2020, Carlo Ossola, considérant sa fonction dans une dimension collective humaniste à vocation citoyenne, rappelle ce qu’il doit à ses généreux collègues, notamment Marc Fumaroli, Jacques Glowinski, Jean-Pierre Vernant, Yves Bonnefoy.

La Renaissance, ce n’est pas qu’hier dans tel ou tel lieu ou moment de civilisation, c’est aujourd’hui, c’est maintenant, c’est tout de suite.

Pour Carlo Ossola, comme pour Roland Barthes, la littérature n’est pas extérieure au monde, elle est le monde rendu au présent.

La préparation du roman (Barthes, séance du 12 janvier 1980) est citée : « […] aimer la littérature, c’est, au moment où on lit, dissiper toute espèce de doute sur son présent, son actualité, son immédiateté ; en lisant Pascal, j’ai dissipé toute espèce de doute sur l’actualité ou non-actualité de Pascal, c’est-à-dire que je croyais en lisant Pascal, que Pascal était un homme vivant qui parlait, comme si son corps était à côté de moi dans l’avion. »

Titulaire de la chaire Littératures modernes de l’Europe néolatine, l’auteur de Erasme et l’Europe (Editions du Félin, 2014) pense le latin comme foyer de conscience pour l’Europe pendant de longs siècles – unité de la chrétienté sous le signe de la paix -, ainsi Dante écrivant en langue vulgaire mais pensant en latin.

« Le latin de la Vulgate, avance-t-il, et le modèle biblique ont été un réservoir infini pour la naissance des genres littéraires, des personnages, des figurations, des littératures modernes. »

Carlo Ossola croit en l’universel, dont il rappelle la belle étymologie – uni-versus, aller vers une même direction – quand les termes de mondialisation et de globalisation sont devenus péjoratifs (Edouard Glissant leur préfère celui de mondialité).

Retrouver la valeur du partage, un élan commun, un horizon désirable.

Articulant les notions d’altruité – engagement délibéré à agir pour la liberté des autres (Philippe Kourilsky) – et d’abaliété – ce qui vient d’autrui vers nous -, le philologue pense un monde d’interdépendances fécondes, un monde pluriel, où l’individuation ne se fait pas sans le contact avec l’autre.

On se rappelle le plurivers de Julia Kristeva, les noues de Marielle Macé, mais aussi les œuvres de François d’Assise et de François de Sales, dont l’écrivain installé désormais à Urbino est coutumier.

Nous nous nouons dans l’invisible, nous avons la chance d’être poreux, le nœud symbolique de la tradition néolatine, tel qu’on le trouve dans la salle capitulaire de l’abbaye de Fossanova (Latium), marque l’entrelacement continue entre Dieu et les humains.

Dante est une nouvelle fois évoqué : « La forma universal di questo nodo / credo ch’il vidi […]. »

La forme universelle de ce nœud, je crois que je la vis.   

Merci, cher professeur, de m’avoir offert ce livre de clôture, qui est une ouverture.

Carlo Ossola, Nœuds, Figures de l’essentiel, maquette Elisabeth Gutton, Collège de France Editions, 2021, 54 pages

https://www.college-de-france.fr/fr/chaire/carlo-ossola-litteratures-modernes-de-europe-neolatine-chaire-statutaire/biography

https://www.leslibraires.fr/livre/18422139-noeuds-figures-de-l-essentiel-carlo-ossola-college-de-france?affiliate=intervalle

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