Dans le Perche, avec les éleveurs, par Lionel Jusseret, photographe

©Lionel Jusseret

Il est finalement assez rare qu’un livre de photographie – Kolostrum – soit aussi passionnant par ses images que par le texte qui l’accompagne.

S’entretenant avec le journaliste Emmanuel Berck, Lionel Jusseret évoque à la fois son expérience d’apprenti ouvrier agricole dans une ferme laitière de Normandie et sa pratique/pensée de la photographie, inspirée par celles des cinéastes Robert Flaherty, Georges Rouquier et Johan van des Keuken.  

L’édition est relativement modeste – collection Les Carnets, Filigranes Editions, consacrée aux travaux d’artistes en résidence dans le Perche -, mais quand les images sont bonnes, les ouvrages s’imposent.

©Lionel Jusseret

Lionel Jusseret observe la ferme comme un espace de théâtre, mais aussi avec les yeux d’un peintre attentif aux surfaces colorées et aux jeux chromatiques.

Le regard porté sur les vaches est très tendre – on pense à la passion du cinéaste Jean Paul Civeyrac pour ces quadrupèdes peints par Boudin -, témoignant de l’établissement d’une relation de confiance avec un environnement immédiat abordé dans le temps long – Lionel Jusseret est adepte des projets immersifs, pour des précédents projets avec des enfants (Kinderszenen) et des personnes âgées (Les Impatientes), non de l’horrible one shot.     

Kolostrum, au titre si évocateur, faisant songer à la fois au premier lait maternel nourricier et à la puissance des géants, montre à la fois la solitude et le travail en commun, la force du collectif et l’énigme de la vie.

©Lionel Jusseret

On n’est pas loin quelquefois de la fiction, la réalité possédant en son ordre apparent cette part d’échappée possible dans les mondes imaginaires.  

Gestes de soin envers les bêtes, héraldique des peaux et des mains vieillies, œil bleu vitreux de l’animal mélancolique.

S’intéressant aux textures et matières, Lionel Jusseret contemple, dans une photographie sidérante de vie, de sang et de fantastique, un vêlage comme l’action d’un véritable dripping pollockien.

Grain des couleurs, attention particulière à la lumière – héritage des maîtres de peinture -, position des corps dans l’espace comme lors d’un ballet.

©Lionel Jusseret

« J’ai un amour profond, déclare l’artiste, pour les primitifs flamands et pour les peintres de la Renaissance hollandaise. Leurs scènes de genre sur la vie quotidienne ont certainement une grande influence sur ma façon de composer. Tout comme leurs lumières au naturel, souvent en clair-obscur, qui font jaillir la couleur. » 

Des scènes se répètent, la vie est essentiellement réitérative, un photographe est là pour en percevoir le mouvement quelquefois informulé ou inconscient.

©Lionel Jusseret

Il y a aussi de la drôlerie dans Kolostrum, comme la possibilité d’un burlesque ontologique, le photographe n’insistant pas, préférant la douceur et l’introspection au spectacle des gestes menés jusqu’à l’absurde.

Ce grand petit livre est d’une humanité envers le vivant dans sa totalité qui touche au vif.

Lionel Jusseret & Emmanuel Berck, Kolostrum, coordination éditoriale Christine Ollier et Patrick Le Bescont, direction artistique Christine Ollier, Corinne App, conception graphique Corinne App, suivi de publication Parick Le Bescont, Les Carnets, Filigranes Editions, 2025, 96 pages

©Lionel Jusseret

https://www.lioneljusseret.com/

©Lionel Jusseret

https://www.filigranes.com/livre/rencontre-lionel-jusseret/

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