
©Adel Abdessemed
« Je me dis souvent que si nous parvenions à lui donner forme et couleur, notre parole ressemblerait aux corps astraux des tables tournantes ou aux ectoplasmes surgissant des bouches occultes ainsi que des giclées de fleurs, des grosses bulles de chewing-gum, des vapeurs épaisses de fumée ou des chrysalides soyeuses. Parler : expectorer. » (Colin Lemoine)
Je l’ai déjà écrit, lors de la parution d’une partie de ce texte dans la revue Aventures (Yannick Haenel, Gallimard, printemps 2025), Hélène Cixous. Parlure, de Colin Lemoine, est éblouissant.
On parle, on a été parlé, on est parlé, on a parlé.
Adressé à Hélène Cixous, Parlure est une réflexion sur la parole, le vol des mots et des phrases, la matière langagière, comme chez Valère Novarina, ou chez Rembrandt, précise l’auteur, qui entend murmurer ses personnages peints.
« Et il est doux d’entendre parler Hélène Cixous, quand son souffle caresse ses lèvres et que ses lèvres caressent son souffle, chiasme parfait, royaume pair, symétrique, jardin à la française, implacable, buis et érables, chênes et charmilles, lait et miel dans une même fontaine. »
Colin Lemoine mâche les mots, les mastique, les savoure, les dégorge.
Qui parle à travers nous ?
Qui invente quoi ?
Qui crée quoi ?
Qui, quoi, nous souffle ?
Qui possède pami les poètes, les saints, les fous et les innocents, la langue d’or permettant de comprendre les cris des animaux, la langue du tout-autre, mon frère, ma sœur ?
Les baleines parlent, certaines ont même pu, témoignent des scientifiques, chanter différemment en entendant le Requiem de Mozart, vibrations lancées dans leur milieu naturel par des enceintes sous-marines.
Hélène Cixous elle aussi chante, enchante.
« Ni grésil, ni poussière, ni cendre dans sa voix, pleinement innocente comme le miaulement ? Oraculaire, presque. On se croirait à Cumes et à Delphes. A Elseneur. »
Erotique d’une voix aurorale, sans arrière-pensée mais avec toute la pensée (lire notamment ses fabuleux séminaires, Lettres de fuite et Il faut bien aimer).
Femme-nature-vivante, nature-morte-vivante, comme nous toustes, mais mieux que nous toustes.
Ouste, ça tousse.
« La bouche d’Hélène Cixous est un fruit, de la fraise et de la cerise mêlées, de la framboise écrasée, un chapelet de graines et un précipité de mondes, une baie charnue, une grenade douce, chargée comme une arme désarmante, ventre et vulve, panse et pulpe, havre infini. »
Comme un dessin d’Adel Abdessemed ?
Il y a une folie – d’élocution – d’Hélène Cixous, un bel emportement clair.
« Je me représente toujours, conclut son ami, sa parole pure ainsi que des incunables médiévaux, tel un phylactère sortant de la bouche des personnages enluminés. Elle dit devant elle. »
Lire-entendre Hélène Cixous.
Parure, parlure, parlêtre.

Colin Lemoine, Hélène Cixous. Parlure, frontispice d’Adel Abdessemed, Editions des Cendres, 2025, 24 pages – 210 exemplaires
Les trente premiers exemplaires, numérotés de I à XXX, signés par l’auteur et l’artistes, sont augmentés d’une estampe, Nature morte, d’Adel Abdessemed, numérotée et signée par l’artiste
https://www.adelabdessemed.com/
https://www.editionsdescendres.com/product-page/colin-lemoine-parlure-exemplaire-de-t%C3%AAte
Paraît conjointement le virevoltant, étrange et beau Ce qui n’était jamais arrivé, parce qu’on peut mourir par mégarde, qu’il faut se rappeler, tisser, réinventer le legs, soi, les livres, les rêves.
Il faut faire son devoir de livre, n’est-ce pas ?
« Qui me roue et m’assaille, s’interroge l’écrivaine ? L’an 2022 j’ai vécu bien malgré moi avec la Présence Ennemie. Quelqu’un s’était introduit dans mon être. »
Cela s’appelle l’Histoire, la maladie, la malédiction, le dérèglement.
Out of joint.
Ça ne prévient pas, ça arrive, ça vient de loin.
N’arrêtent pas d’arriver les fantômes de nos proches, de nos aimé.es, Kafka et son terrier.
Elle, l’autre, la même : Je voulais te dire que je t’attends.
Elle, la même, l’autre : Laisse-moi découvrir ce que je peux encore impouvoir.

Hélène Cixous, Ce qui n’était jamais arrivé, Gallimard, 2025, 182 pages
