
©Françoise Evenou
« A travers ce travail, nous avons trouvé une dignité. Une dignité, oui ! Parce que la prostitution nous a permis de nous nourrir, d’avoir un toit, de ne pas être une charge pour notre famille, d’être indépendantes. » (Mariana)
Il faut pour les femmes de la nuit, travailleuses du sexe refusant l’unique spectacle de l’affliction, des pages qui glissent, du brillant, du relief en couverture.
Elles exercent cependant leur métier dans des conditions extrêmement précaires, le danger est là, omniprésent, tout peut déraper en quelques secondes.
Le couvert végétal préserve la clandestinité des pratiques, mais l’obscurité qui s’en dégage relève davantage du fantastique angoissant que du conte pour tout-petits.
On ne sait pas qui sera le prochain client, quelles seront ses intentions réelles, il y a un grand risque.
Ouvrage consacré aux femmes trans se prostituant dans le Bois de Boulogne, Les Reines du Bois, de Françoise Evenou, ne cherche pas à rajouter du malheur au malheur, mais à montrer la réalité de ces femmes vêtues quelquefois telles des souveraines.
Venues d’Amérique du Sud, plus d’une trentaine de femmes considérées souvent comme des indésirables ou des parias ont accepté de témoigner franchement de leur âpre quotidien.
La photographe a fait le choix de célébrer leur beauté, leur pudeur, leur pleine présence dans la nuit.
La projection de lumière sur leur corps et leur visage les magnifie, mais que leurs lieux de travail – cabane minuscule construite avec quelques draps, camionnettes – sont désolants.

©Françoise Evenou
L’anthropologue écossais James George Frazer a raconté dans Le Rameau d’or le mythe du Roi du bois, roi sacré maintenant les forces de la nature assassiné quand ses forces déclinaient.
Il n’est pas possible d’oublier cela lorsqu’on regarde les femmes rencontrées par Françoise Evenou.
Une peau de banane git près d’un tabouret rose.
Kaira : « Depuis dix ans que je travaille au Bois, j’ai pu mettre de l’argent de côté, j’ai acheté un terrain au Pérou et j’ai construit une grande maison dans les terres, entourée de montagnes. La vue est très belle. Et j’ai pu y installer mes parents. Ils ne savent pas ce que je fais, ils croient que je travaille dans un bar et que je gagne bien ma vie. »
Il y a quelques lumières faisant lampion derrière une tenture : l’intimité est à la fois préservée et appelée.
Une diva fume une cigarette.
Les poitrines des trans latina sont généreuses, les corps hypersexués.

©Françoise Evenou
Gel hydroalcoolique, lubrifiant, Kleenex.
Sacs plastiques pendant aux arbres, déchets divers, tapis de feuilles souillé.
C’est triste, mais il faut préserver l’apparence de la fête.
Jessica : « Avant, tu pouvais travailler tranquillement la nuit. Maintenant, non ! Ils arrivent défoncés à la coke, ils prennent de l’alcool, ils te volent, ils t’agressent… Et puis il y a les bandes organisées qui ne viennent que pour casser, frapper, violer et même tuer. »
Nombre d’arbres ont été coupés pour permettre des constructions servant au commerce du corps : les troncs étêtés métaphorisent les existences tronquées, violentées.

©Françoise Evenou
Bottes rouges à taillon aiguille, diadème, minijupe en cuir noir.
Les Reines du Bois sont certes des prostituées, mais ce sont avant tout des Madones.
Certaines sont pieuses.
Le prix d’une passe est dérisoire.
Diana : « Ce n’est pas parce qu’un homme arrive en costume-cravate que c’est une bonne personne. Souvent, ce sont même les plus tordus. Et celui qui bosse comme livreur avec son petit scooter, c’est souvent le plus gentil. »
Fatigue des Reines, visages exténués, courage permanent.
Il faut faire du cinéma, attirer le chaland, attendre.

©Françoise Evenou
Livre de nature documentaire, Les Reines du Bois est bien plus qu’une œuvre informative, c’est un chant beau et triste pour des femmes trans ayant rêvé que la France aurait su leur offrir droits, protections, accueil inconditionnel.
C’est l’asile d’un ouvrage de grande sensibilité.

Françoise Evenou, Les Reines du Bois, témoignages en français et espagnol, suivi d’un entretien croisé entre Jean-Damien Le Liepvre, Miguel-Ange Garzo et Françoise Evenou, direction éditoriale Eric Cez, conception graphique Joanna Starck, 2025, 144 pages

https://www.editionsloco.com/en/livre/les-reines-du-bois/

https://www.editionsloco.com/en/biographie/evenou/

©Françoise Evenou
Ouvrage ayant reçu le soutien de l’association Aux Captifs, la libération