Reprendre vie, maintenant, par Paolo Cognetti

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Il faut souvent savoir rompre pour reprendre vie.

Paolo Cognetti, écrivain milanais apprécié pour son talent de nouvelliste, décide de passer plusieurs mois, plusieurs saisons, dans les montagnes du Val d’Aoste qu’il avait délaissées depuis bien trop longtemps (dix ans). La vie dans la grande ville devenait impossible, il fallait partir : « Il y a quelques années, j’ai eu un hiver difficile. Il me semble inutile aujourd’hui de revenir sur la cause de mon malheur. J’avais trente ans et je me sentais à bout de forces, désemparé et abattu, comme quand une entreprise à laquelle tu as cru échoue misérablement. »

Eclate ici dès l’orée du livre un art de l’ellipse, une pudeur, qui font toute la beauté et le mystère d’un auteur ne donnant aucune leçon, préférant la juste description des travaux, des jours et des sentiments à la clôture d’un système de pensée trop rassurant pour être véritablement de secours.

Peu traduit malgré une œuvre déjà conséquente – les lecteurs francophones ne connaissent que Sophia s’habille toujours en noir, publié chez Liana Levi en 2013 – Le Garçon sauvage est le carnet de montagne d’un amoureux de New York ayant décidé de louer un chalet isolé afin de se confronter à la nature, à la solitude, et aux textes de ses maîtres, l’écrivain valaisien Mario Rigoni Stern (Arbres en liberté, Le Vin de la vie), la poétesse Antonia Pozzi (La Route du mourir), le géographe anarchiste Elysée Reclus (Histoire d’une montagne), Primo Levi (Le système périodique) ou l’insoumis Thoreau (Walden), afin de, peut-être, écrire de nouveau.

Paolo Cognetti évoque ainsi Chris McCandless, le héros/antihéros de Jon Krakauer (Into the Wild) en citant Thoreau : « Je ne désirais pas vivre ce qui n’était pas une vie, car la vie est très précieuse ; je ne désirais pas davantage cultiver la résignation, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Je désirais vivre à fond, sucer la moelle de la vie, vivre avec tant de résolution spartiate que tout ce qui n’était pas la vie serait mis en déroute, couper un large andain et tondre ras, acculer la vie dans un coin et la réduire à ses composants les plus élémentaires, et si jamais elle devait se montrer mesquine, eh bien alors en tirer toute l’authentique mesquinerie ; ou si elle devait se révéler sublime, la connaître par l’expérience et réussir à en établir un rapport fidèle lors de mon excursion suivante. »

Que désire vraiment le narrateur du Garçon sauvage ? Renouer avec le simple – « être seul en forêt, ou plonger nu dans un torrent, ou courir sur le fil d’une crête avec rien d’autre que le ciel tout autour » –  se redécouvrir, réapprendre à vivre, en gestes et sensations : explorer un territoire, ne pas craindre le noir, observer le ciel, les fleurs, les animaux (lièvres, renards, chevreuils, chamois, chiens), sympathiser avec un voisin, cultiver la terre, chanter pour apprivoiser les marmottes, manger frugalement, pleurer parfois.

On peut songer ici, si l’on cherche des parentés, aux Lettres de Gourgounel de Kenneth White (son installation dans une masure ardéchoise), ou plus récemment au très beau La petite lumière, d’Antonio Moresco, livres de déliaison sociale, ouverts aux énigmes et ivresses possibles du grand dehors envisagé comme monde premier.

Pas de gloriole chez ces auteurs comme chez Paolo Cognetti, mais une sincérité qui manque parfois aux assis : « J’avais appris à fendre du bois, à allumer un feu en plein orage, à cultiver un jardin à moitié sauvage, à cuisiner les herbes de montagne, à traire une vache et à faire des bottes de foin, et à me servir d’une tronçonneuse, d’une faucheuse, d’un tracteur ; mais je n’avais pas appris à être seul – l’unique but, en vérité, d’une vie d’ermite. En cela, je me sentais comme au premier jour. La peau de mes mains s’était faite calleuse, mon corps plus sec et solide, mais mon esprit ne s’était pas plus endurci qu’il ne s’était renforcé, il restait toujours aussi gracile et malingre. Plus qu’à une cabane perdue dans les bois, la solitude me faisait l’effet d’un palais des glaces : partout où je regardais, je trouvais mon image reflétée, déformée, ridicule, multipliée à l’infini. Je pouvais me libérer de tout, mais pas d’elle. Echoué sur cette pierre, je m’avouai vaincu. »

On l’aura compris, Le Garçon sauvage est un récit initiatique, dont l’humilité n’est pas la moindre des qualités lorsque l’on tente de devenir adulte.

Paolo Cognetti, Le Garçon sauvage, Carnet de montagne, traduit de l’italien par Anita Rochedy, préface Vincent Reynaud, éditions Zoé, 2016, 144p

Extrait du livre

Retrouvez-moi aussi sur le site de la revue indépendante Le Poulailler

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Marquès Jean dit :

    Ceci m’a l’air sublime.. Merci pour la découverte.

    J’aime

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