Yvon Le Men est un poète dont la sincérité touche au vif, et dont les mots paraissent aujourd’hui d’autant plus précieux que l’époque est folle.
Son art, qui paraît aussi simple qu’il est maîtrisé, relève d’une grande culture.
Faisant son métier d’homme comme il construit son oeuvre, avec humilité et conviction, il a bien voulu confier aux lecteurs de L’Intervalle un poème magnifique.
Le voici, il s’intitule Sarajevo.
Qu’il en soit infiniment remercié.
Sarajevo
Un bouquet de violettes
que l’on dit de Sarajevo
des traces de balles
que l’on sait
de Sarajevo
une vieille dame les vend
pour même pas un euro
et une cigarette
un vieil homme les grave
pour même pas un euro
et un verre de vodka
leurs visages
sont comme les pages d’un vieux livre
qui auraient fané
fatiguées de raconter
encore et toujours la même histoire
l’histoire du livre dont les pages ont brûlé.
Une locomotive russe de 1917
un jouet
au prix de cent bouquets de violettes
un souvenir de la guerre
qui commença à Sarajevo
et finit
soixante-dix ans plus tard
à Sarajevo.
Un foulard où le bleu mer
croise le bleu ciel
et qu’une femme voilée
déplie
pour qu’autour de ton cou
la beauté voltige
un souvenir de la vie
qui recommença à Sarajevo
et n’en finit pas.
Une rue
que traversent encore
les cris d’hier
et toujours
les rires d’aujourd’hui.
Une église
une mosquée
que traversent des prières
qui se croisent au ciel
seulement
au ciel
quand les fidèles se tuèrent
à terre
le même père
explosé en milles morceaux
de bras
de jambes
de crânes
comme une bombe
en atomes.
Cinq fois par jour
la voix du muezzin se répand
dans toute la vallée et dans certains cœurs
un jour par semaine
l’écho du carillon me ramène dans mon pays
mon pays…
Derniers livres publiés :
Yvon Le Men, Les rumeurs de Babel, éditions Dialogues, 2016, 192p
Yvon Le Men, Une île en terre, Les continents sont des radeaux perdus, 1, Editions Bruno Doucey, 2016, 110p
Merci chaleureux également au photographe Gérard Rondeau pour le don de son image
Retrouvez aussi Yvon Le Men pour un long entretien sur le site de la revue indépendante Le Poulailler