
Au commencement du livre de Jem Southam, The Moth (MACK, 2018) était un trois-mâts illuminé par un arc électrique, le fameux et mystérieux feu de Saint-Elme.
Dans son Histoire naturelle, Pline l’Ancien décrit ainsi merveilleusement ce phénomène : « Il se montre des étoiles dans la mer et sur terre. J’ai vu, la nuit, pendant les factions des sentinelles devant les retranchements, briller à la pointe des javelots des lueurs à la forme étoilée. Les étoiles se posent sur les antennes et sur d’autres parties des vaisseaux avec une espèce de son vocal, comme des oiseaux allant de place en place. Cette espèce d’étoile est dangereuse quand il n’en vient qu’une seule ; elle cause la submersion du bâtiment (…) La tête de l’homme est quelquefois, pendant le soir, entourée de ces lueurs, et c’est un présage de grandes choses. »
Les voiles prennent feu sans brûler vraiment, comme dans une toile de Turner.
La tête prend feu, mais reste calme. C’est celle du Wanderer Jem Southam, voyageur romantique arpentant depuis trente ans ses terres de Cornouailles, entre les collines minières de Red River Valley et le nord de Penwith.


The Moth, soit le mot anglais désignant le papillon de nuit, peut donc être vu comme le journal d’un promeneur solitaire, photographiant des paysages modestes, une ruralité tout à la fois féconde et blessée.
Des habitations humaines, des bocages, quelques fermes, la silhouette d’un haut fourneau dans le matin froid.
The Moth est un recueil de choses vues, des nids, un cours d’eau, les briques d’une maison humide.


C’est un poème visuel au lyrisme doux, vaguement mélancolique, fait de placards vides et d’envies de partir (récurrence des motifs marins), de brumes et de murs fissurés.
C’est une ode au plus proche de tonalité élégiaque : des ombres, un canari en cage, un lapin, une colère (l’inscription FUCK) diluée dans un champ de coquelicots.
Jem Southam ne discourt pas, mais pose avec délicatesse sur la page un ensemble de signes discrets, révélés par un œil attentif aux symboles ténus, une fondrière, une chemise de nuit, la petite bande drôle d’un cochon de lait, d’une brebis et d’un agneau regardant l’objectif.

En ces territoires semblant parfois abandonnés de Dieu lui-même, l’ennui de vivre n’est jamais loin de la possibilité d’une épiphanie.
Il y a un bûcher, et l’on peut lire dans l’image qui le précède : ENGLISH OUT.
A trois reprises, comme une ponctuation, apparaît à peu près le même paysage, les mêmes maisons, le même horizon, dans un ordre paraissant à rebours du temps chronologique.

Voilà un présent frangé de passé, des terres frangées de mers, des chevaux frangés d’oiseaux, un puits d’exploitation minière frangé d’un arc-en-ciel.
Il n’y a rien de directement spectaculaire dans le travail de Jem Southam, mais, malgré la familiarité de ce que nous voyons, l’impression d’une altérité radicale, demandant de l’éprouver véritablement pour en diminuer peut-être ce qu’elle porte d’effroi et de glas.

Jem Southam, The Moth, texte Jem Southam, MACK (London), 2018
