
C’est un livre arrivé par la poste de Pologne, dont je ne connais rien, ni le nom de l’auteur (Lukasz Rusznica), ni celui de l’éditeur (Fundacja Sztuk Wizualnych), mais qui s’impose immédiatement par sa puissance graphique et son titre, Subterranean River.
D’une grande beauté formelle – couverture cartonnée rouge et noire, choix des papiers, dont quelques feuilles très fines de plus petites dimensions ponctuant l’ensemble comme les signes d’une cérémonie secrète, une alternance d’images en couleur et en noir & blanc, utilisation de l’infrarouge – Subterranean River est le portrait d’un voyageur européen au Japon des kamis, soient des divinités célébrées dans le culte shintoïste.

Subterranean River est une sensation, une approche un peu folle du monde des esprits qui nous entourent, nous guident, nous aident ou nous égarent.
La nature y est omniprésente, passant entre les tombes de pierres dressées d’un cimetière où tomber à genoux.
Accords mystérieux entre le jour et la nuit, le végétal et le minéral, le visible et l’invisible.

Apparaît la peau tatouée d’un homme sous une lumière blanche. Ce parchemin mouvant est peut-être le photographe lui-même.
L’extraordinaire peut se trouver dans quelques paysages grandioses, il est surtout là, dans un jardin de rue, banal et pourtant suprêmement vivant.

Il faut apprendre à regarder, mais surtout accepter de se laisser renverser par l’infime, l’apparemment trivial, d’où se lève une volonté d’être considérable.
Dans la nuit, des corps se déshabillent, se livrent à des rites étranges, se vêtent de blanc. L’air devient rose, c’est le domaine du merveilleux, l’entrée dans un monde souterrain.
Il y a une source, de l’eau giclant sur une roche verte, une écume de vie, des bouillons de salive, du sperme sans retenue.

En surface, les humains poursuivent leur labeur, protégeant du gel des buissons de fleurs par des bâches en plastique.
Le bitume se craquelle, sous lequel dansent des forces inconnues.

L’arpenteur des confins se rattache encore quelques instants aux roseaux du chemin, avant que de s’abandonner au gouffre s’ouvrant sous ses pieds.
Un jeune initié nu agite des branches, tout change, et nous entrons désormais en des territoires où nul ne pénétra jamais.
Un visage féminin, un homme au sexe fort bagué, des oracles rouges.

Voici la source d’où jaillit l’ensemble des dix mille choses, ses drôles de méandres, ses ténèbres.
Nous butons contre la racine d’un arbre, nous cognons le front contre des parois de plusieurs millions d’années, nous saignons.
Nous marchons à tâtons, souhaitons notre propre sacrifice, rien n’a plus d’importance désormais que de mourir à soi pour renaître feuille, statue de bronze, fil électrique, oiselet, phare de voiture.

Nous avons perdu le sens de l’orientation, nous avons rarement ri autant, nous découvrons des gemmes dans le moindre bosquet.
Les cerisiers seront bientôt en fleurs.

Priez pour nous qui ne sommes plus, étendez sous la frondaison rose de vastes couvertures, buvez, amusez-vous, taquinez-vous.
Il n’y aura plus de matin, mais une seule vibration unissant l’ensemble du vivant, du passé et du présent, du haut et du bas, du moi et du non-moi.
Lukasz Rusznica, Subterranean River, texte Olga Drenda, Fundacja Sztuk Wizualnych (The Foundation for Visual Arts) & Palm Studios, 2018 – 500 exemplaires

A reblogué ceci sur DENIS LEVIEUX PHOTOGRAPHE INFOGRAPHISTE.
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