
Il y a des jours pour ainsi dire limbiques, se déroulant entre brumes atmosphériques et mélancolie.
Vous êtes allongé sur le canapé, regardant le plafond de façon hagarde. Vous vous observez depuis les nuées, vous trouvez ridicule – il y a bien plus intéressant qu’un moi blessé, qu’un Soi désaccordé, et tant de causes à défendre –, ou au contraire très sage d’arrêter enfin de vous agiter en tous sens.
Vous étendez la main, battez un peu l’air, trouvez un petit livre très noir, comme des poussières condensées en instants de vision.

Vous scrutez la couverture, ne comprenant pas tout. Face à vous, s’expose à n’en pas douter une femme, seins nus, main posée sur l’entrejambe du pantalon, assise sur un lit à l’angle d’une pièce à la lumière filtrée par des stores. Tout est pénombre, mystère, imperceptible. L’entité féminine que vous rêvez maintenant d’approcher porte peut-être une cagoule. Cette absence de visage est la vôtre, une sœur de la nuit, votre félicité, votre bourreau.
Au dos de la couverture, il y a le tronc d’un arbre, puis une fente de montagne. Des nuages recouvrent bientôt l’ensemble du paysage, propices aux amours clandestines, et aux pleurs du fond de l’être.

Dead – end dust est le titre de cet astre noir, qui pourrait être un song rauque de PJ Harvey.
Son auteure, Aurore Dal Mas, le présente ainsi : « Cet ouvrage a été conçu dans le prolongement des séries Sans Issues et Polvere. C’est une errance à travers un monde parfois attractif, souvent inhospitalier, qui se balance au-dessus du chaos – pré – ou post-apocalyptique, qui sait encore ? »

Faites au Polaroïd entre 2013 et 2017, en Belgique, en France, en Espagne, aux Etats-Unis (Texas, Colorado), les images de Dead – end dust construisent un poème visuel fait de lignes incertaines, de ténèbres abritant une nymphe, plus ou moins vêtue, de touches de lumières résurrectionnelles.
La solitude n’y est pas vue comme une fin en soi, mais comme une nécessité de dépouillement menant au recueillement à l’instant où tout peut basculer : épiphanies, extases, morts temporaires, joies d’unité avec le monde enfin réconcilié.

Des ruines monte une énergie étrange, qui peut être celle d’une Renaissance.
Les êtres humains se déchirent, saccagent la terre-mère, il n’y aura plus de bonne année. Pourtant, il y a les roches, le remous des bords de falaises, des végétaux étiques, quelques habitations soustraites aux regards.
Tout est désert, mais tout est habité.

Le retrait de Dieu n’est qu’une feinte passagère quand il n’est plus possible d’imaginer autre chose que le saccage du sauf.
Des phrases se lèvent, inscrites aux marches des images : « Comme il est étrange de ne porter ni fruits ni guirlandes, comme il est abrupt. », « Comme le poulet dont on vient de couper la tête, l’on peut courir en tous sens et être déjà mort. »
Seule en ses rêveries, ses fantasmes, une femme se montre, se retire, frotte son corps aux parois des motels où vous la trouverez peut-être, tentatrice et intouchable.

Les Polaroïds sont des voyages rescapés, au bord de l’effacement, allant vers le soleil – progression du livre.
Dead- end dust est une matrice, une chambre d’échos où se perdre, un territoire où crier sans fin.
Il viendra peut-être quelqu’un.
Dead and lust.
Aurore Dal Mas, Dead – end dust, texte Aurore Dal Mas, Yellow Now (Belgique), 2018