David « Chim » Seymour, le destin, l’enfance violentée, par Carole Naggar, historienne de la photographie, écrivain

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

En couverture, il y a un écheveau de lignes rageusement brouillées, un nom, « Tereska », et un trou traversant l’ensemble des pages du livre.

Fors le trou, qui symbolise la mort, l’oubli, le vide, l’absence, l’aléatoire du mal, il s’agit d’un dessin effectué par une petite fille appelée Tereska, photographiée pour l’UNESCO-UNICEF dans le cadre d’un reportage ayant eu lieu en 1948, à Varsovie, par David Seymour, dit « Chim », né juif en 1911 sous le nom de David Szymin en Pologne.

Cette enfant, longtemps identifiée comme rescapée de la Shoah, est une énigme.

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

Aidés par Carole Naggar, historienne de la photographie et biographe de Chim, les chercheurs polonais Patryk Graziewicz et Aneta Wawrzynczak ont récemment découvert le destin dramatique de Tereska Adwentowska, morte à trente-sept ans en janvier 1978, étouffée par la nourriture qu’elle avait volée à un autre patient dans un hôpital psychiatrique de son pays.

Ce décès absurde n’est pas sans rappeler celui de son photographe, en 1956, tué par erreur, avec son ami le journaliste Jean Roy, à El Qantara, par des soldats égyptiens lors du conflit israélo-arabe de Suez.

Imaginant les vies de Tereska et du membre fondateur de l’agence Magnum Photos, Carole Naggar a construit un récit les restituant en voix, dans la force et fragilité de leur présence singulière.

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

Ouvrage formellement très réussi, dans sa façon de monter les archives et de faire apparaître la structure même du temps, Tereska & son photographe, invente des paroles, des voix, en prenant appui sur des photographies issus du fonds Seymour témoignant de la guerre et de l’Europe du crime.

La texture peut faire songer au livre de Brecht, Kriegsfibel, publié en 1955, ensemble de soixante-neuf « photoépigrammes » évoquant à travers des images collectées dans des journaux les ravages de la guerre.

Les photographies existent, mais il faut les décoder, les ouvrir, les scruter, les agrandir, les déplacer, les monter, remonter, démonter, pour tenter de rompre leur silence.

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

Avec beaucoup de sensibilité, Carole Naggar offre la parole à David Seymour évoquant sa famille assassinée par les nazis à Otwock, ainsi qu’à l’un des rares rescapés du massacre, le Docteur Stanislaw Wiktor Sierpinski : « En nous poussant avec la crosse de leurs fusils, ils nous ont fait mettre à plat ventre par terre au bord de la fosse, le visage posé sur le remblai, la nuque offerte. Il y a des ouvriers qui pleuraient : ils avaient vu là, parmi nous, leur femme ou leur fils. »

Les synagogues ont brûlé et voici maintenant Chim de retour en Pologne, dans une Varsovie en ruines, pour photographier en professionnel des orphelins victimes de la guerre, dont la petite Tereska, qui apparaîtra bientôt dans le livre  Les enfants d’Europe.

Elle s’exprime à son tour : « Le photographe n’était pas grand et portait de grosses lunettes. Il avait une chemise blanche et deux appareils photo autour du cou. »

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

Son père, membre de l’A.K., armée de résistance : « Quand j’ai été capturé, les soldats m’ont amené à la Gestapo, Aleja Szucha. Ils m’ont interrogé pendant des heures, et comme je n’ai rien dit ils m’ont cassé les dents avec une crosse de fusil. »

Message du SS Heinrich Himmler alors que l’insurrection de Varsovie a débuté : « L’action des Polonais est un bienfait pour nous. Nous en finirons avec eux… Varsovie sera liquidée et cette ville… capitale de la nation… qui pendant sept cents ans a entravé notre poussée vers l’Est… cessera d’exister. »

Les massacres continuent, les désastres de la guerre, la haine nazie.

Les enfants sont traumatisés, l’Histoire est traumatisée, mais peut-être n’a-t-elle pas d’autre raison d’être que de signifier le malheur des plus faibles.

Les mots sont pleins de sang et se taisent de honte.

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©david seymour-Magnum Photos.Design© Ricardo Baez

En son dispositif de paroles luttant contre l’amnésie et la profondeur des blessures intérieures, Carole Naggar se montre fidèle aux nécessités existentielles d’un homme ayant connu la guerre d’Espagne et le destin des plus vulnérables regardés comme des autres lui-même.

Son livre s’avançant entre document et fiction est un formidable hymne à la photographie comme matériau vivant, mais aussi capacité d’accueil et de réflexion.

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Carole Naggar / David « Chim » Seymour, Tereska & son photographe, The Eyes Publishing, 2019 – 400 exemplaires en anglais, 300 en français

The Eyes Publishing

Lien vers la version anglaise

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