Preto, la résistance des corps, par Fabio Miguel Roque, photographe

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© Lorenzo Castore

Certains jours, loin du vacarme médiatique et de la propagande de la mort, vous recevez dans votre boite aux lettres d’excellentes nouvelles du monde.

Des amis qui vous ont lu finement se signalent à vous, vous comblent, vous offrent leur création.

Vous vous précipitez dans votre café préféré, vous ouvrez le colis, et étalez sur la table en bois brut votre nouveau trésor.

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© Jacob Aue Sobol

Voici les trois derniers numéros de Preto, magazine de moyen format, entre le fanzine et le livre d’artiste, conçu par Fabio Miguel Rogue, photographe vivant à Sintra, au Portugal.

Vous connaissez presque tous les excellents artistes des sommaires – présentés dans L’Intervalle -, vous les appréciez, les fréquentez parfois, ce sont quelques-uns des meilleurs photographes de notre époque asphyxié.

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© Chris Shaw

Se présentant sans texte, ces petits volumes mixent avec beaucoup de bonheur les travaux de trois ou quatre photographes à chaque fois sélectionnés pour la force de leur regard, et leur exploration sans fausse pudeur des territoires de l’intime.

Nous sommes ici du côté d’une humanité rebelle car hautement vivante, insoumise, belle de ses désirs sans concession, de ses ratages, de ses impasses, de ses élans.

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© Jehsong Baak

Des visages parcourus d’un trait de lumière, des nymphes, des écorchés, des vamps, de vieilles personnes s’embrassant à pleine bouche.

Les noms des auteurs se mélangent, se brouillent, s’effacent, pour laisser place au beau continuum de leurs personnages, enfants, femmes enceintes, jeunes hommes jetés dans la pluie acide de l’existence la plus brute.

On se frotte, on s’enlace, on se frappe, on se bagarre, on s’emmêle.

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© Magnus Cederlund

Preto ne discourt pas, mais montre la beauté des corps-à-corps, la rencontre de la chair et des paysages, qu’ils soient urbains ou naturels.

Parce qu’il y a urgence à se retrouver, à s’abandonner, à s’offrir nos jouissances.

Parce que nous étouffons sous le poids des procédures, des lettres mortes, et des fausses responsabilités.

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© Miguel Oriola

Bien sûr, tel ou tel nom est moins à notre goût – parce qu’il y a des degrés de vérité auxquels tous n’ont pas accès, quand la pensée calcutante a dévoré l’innocence -, mais l’ensemble construit un monde particulièrement sensible et désirable.

On pense à Artaud pour le théâtre de la cruauté, mais aussi à ces penseurs (Marielle Macé, Vinciane Desprez, Martha Nussbaum) qui, dans la lignée de la philosophe Judith Butler, élaborent aujourd’hui de nouvelles configurations démocratiques autour des notions de soin, de partage, de vulnérabilité et de parlement des vivants.

Faire progresser l’invivable est désormais la logique même d’un Saturne infernal ayant pris le pouvoir sur nos âmes, mais il y a des trous, des échappées, des possibilités de fête et d’amours inédites.

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© Yusuf Sevincli

Il y a des gestes artistiques libres, des folies de sauvegarde, des nudités qui sauvent.

A sa façon bricoleuse et raffinée, Preto est un îlot de grâce dans la persistance et le renforcement de l’empire du mal.

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Preto Magazine Issue #8, Yusuf Sevincli, Lorenzo Castore, Jacob Aue Sobol, designed by Fabio Miguel Roque, 2019, 40 pages – 250 exemplaires numérotés

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Preto Magazine Issue #9, Chris Shaw, Jehsong Baak, Magnus Cederlund, Miguel Oriola, designed by Fabio Miguel Roque, 2019, 40 pages

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Preto Magazine Issue #10, JH Engström, Mariana Rocha, Max Pam, designed by Fabio Miguel Roque, 2020, 40 pages

Fabio Miguel Roque – site

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© Jehsong Baak

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