Au nom du Père, par Charles Pennequin, poète

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« Père mort en moi / ne dit mot la pleine / poire du patois »

Qu’est-ce qu’un père ?

Des regards, des actes, des odeurs, des mots, des silences.

Qu’un père mangé aux vers ?

« Père ancien sa lie / me berce le corps / gris lait la nuit / poisse son temps / à descendre / pour aller pisser »

Une poutre qui grince, un vent glacé, une peine.

Charles Pennequin a perdu le sien, touille le café froid, le lape, arrache des patates, éclate les lattes.

Père est un ensemble de sensations, des foirades sublimes, de la boue, du vin, de la bile.

« Père un peu / une patate et du blanc / pour finir le piteux »

Du Pennequin, né en 1965 à Cambrai, ça s’entend, ça se voit, ça se danse, dans la rue, dans les criées, dans les marchés aux puces, ça se mégaphone et ça se lit au microphone.

Père ancien, c’est dix-huit poèmes, dix-huit sarabandes échappant à la nomination, des mouvements d’air, des bredouillages, des remuements sublimes, des visions.

Père ancien est un moka, qui est le mot d’une mère.

La phrase se casse, balaie devant sa porte, titube, résiste, rumine, échauffe.

Le temps lessive, il faut le biner.

Ça sent la campagne, la ferme, la merde, mot pennequien signifiant la vie dans toute sa noblesse crasseuse et difficile.

Père ancien est l’entêtement d’un idiot, ce qui vaut mieux que renoncement d’imbécile.

De ma bêche sculpte la rage d’absence. Trois ou quatre vers en cascades, lancés à chaque coup de fer dans la terre : « Père sais-tu / que ton mort / me re-tue tous les jours / en amont » ; « En toi ne serrer / que le vide où m’errer / le soi sans soi-même »

Poème nul n’est pas un poème nul, c’est une position métaphysique : tout pour le rien, le minuscule, l’infra, le grain : « nulle la vie / sans penser / la vie de nul »

Tu prends un verre ? tu te jettes un vers ? tu chantes ? tu craches ? tu avales ? tu pa ? tu ma ? tu mapa ? tu pama ?

« pa n’a sucé / que ce que / ma n’a voulu pa / le veut » : ça vous va ?

« je vis un drame /// je vis le drame de ma / de pa de moi le drame / de pas moi et le drame / de ma dans moi et le drame / de pas de pa dans moi et le drame / de pama et de moipama ou de / pamoima je vis tous les drames / qui se mettent cul par-dessus / tête en moi //// je suis un trou // je suis un trou avec du drame dedans » : pa vous ? ma vous ?  

Des souvenirs, des flashes sans lasso, des pépites dôles ou/et puantes : « grand-mère on la dirait venir / d’ailleurs et ça sent bien comme / ça toujours d’ailleurs que ça nous vient // mon père dit qu’elle nous rase »

Le lecteur/auditeur est monté dans la 4L, ça balle dans les virages, ça formule 1 comme ça peut, ainsi le cerveau, les dédales cérébelleux, les belles céréales de la mémoire.

La limousine du poète : ô ma vache, pense à la douleur d’aller là-bas vivre sans fleurs.

Des aiguilles de pin dans les grosses mottes de la vie.

« oui j’ai de petits genoux pas très beaux mollets / un peu laids peut-être mais comme grand-mère / je mets ses chaussures on voit mon gros orteil je / fais la ligne ici je marche sur les pavés : en route. »

Allez la grosse, ma !

« et elle où sont ses phrases ses menues pensées ici / en ce cimetière om tomber sans mot dedans ni odeur / un rectangle gris écriture effacées retour enfin / canal puis abreuvoir voyette murets pâture le père / au teint de brique cuite son cendrier laiton / ses pots de poilus la mère centons canette un fil / entre la bouche ses yeux tout ronds sortis les deux / se pistent du garage à la cuisine à chacun sa danse »

Père ancien est un tombeau d’insurrection par la parole, voilà pourquoi, pour tous les pa, pour toutes les ma, Charles Pennequin est indispensable, fils et fille, tête-bèche.

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Charles Pennequin, Père ancien, P.O.L., 2020, 190 pages

Editions P.O.L.

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