Moyen Âge, une archéologie du possible, par Zrinka Stahuljak

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Faire rentrer plus avant le Moyen Âge dans le champ des cultural studies est une très belle idée, portée haut par Zrinka Stahuljak, enseignante de littérature et de civilisation médiévales à l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA), et directrice d’une nouvelle collection chez Macula consacrée aux rencontres possibles entre le médiéval et le contemporain.

Construisant son dernier ouvrage sous forme de manifeste, Médiéval contemporain, Pour une littérature connectée, telle une défense de l’enseignement du corpus médiéval à l’ère de l’omniprésence de la pensée calculante, la chercheuse apparaît comme une formidable passeuse.

Se proposant  de questionner le contemporain à l’aune du Moyen Âge, d’envisager leurs points de convergences et de frictions, Zrinka Stahuljak ne considère pas les études médiévistiques comme un passéisme, mais comme une chance de comprendre et enrichir notre rapport à la période historique dans laquelle nous vivons, tout en nous permettant de nous extraire d’un présentisme asphyxiant.   

Accorder donc une place désirable pour le Moyen Âge dans notre monde empoisonné par la logique néolibérale rejetant l’utilité de la culture non directement rentable est donc l’ambition d’un essai proposant une méditation entre la littérature, le politique et le social.

« Quelle est donc, précise l’enseignante, cette littérature connectée que je propose en guise de théorie littéraire ? La littérature connectée n’est pas une théorie de réception diachronique du Moyen Âge à des époques différentes (le médiévalisme), ni synchronique dans le sens où elle occuperait des transversalités dans l’espace partageant le même moment (le cas des études « transnationales »). Elle ne s’inscrit donc ni dans la diachronie temporelle ni dans la synchronie spatiale. La littérature connectée organise la rencontre entre deux dispositifs, le médiéval et le contemporain. »

Il s’agit ici de penser, à la façon de l’histoire mondiale, la connectivité des sociétés, dans un usage renouvelé du terme de civilisation – si déconsidéré au cours du dernier siècle -, compris comme « différenciation (processus de préservation de l’identité dans la différenciation) et décloisonnement (perméabilité et connectivité) ».

Le terme de culture(s) semble peut-être plus adéquat encore pour décrire le système d’échanges, de rencontres, de transmissions, d’influences entre nations ainsi décentrées.

Le propos n’est donc pas d’établir des hiérarchies, mais d’étudier des fluidités, des mises en réseaux, des liens.

Dans ce récit historique revivifié s’élaborant aujourd’hui, nul doute qu’il faille intégrer la période médiévale comme moment fécond de globalité.

Que faire aujourd’hui de l’amour courtois, voire, dans un autre domaine, de la puissance de la langue et de la culture françaises, si présentes sur une vaste échelle pendant plusieurs siècles, dans les relations internationales ?

Faire participer le Moyen Âge aux débats contemporains, proposer un décalage, un contretemps, d’autres récits de création permettrait très certainement de réactiver un imaginaire exsangue, et de  donner à la vie de l’esprit une pertinence nouvelle.

« Un Moyen Âge pensé globalement comme un monde décloisonné, souligne Zrinka Stahuljak, ne serait pas un monde de monuments et de documents – le patrimoine et le mémoriel -, qui de surcroît servirait à historiciser le présent comme différent et donc meilleur, mais un monde vivant et total en devenir permanent. Sa littérature serait pensée non pas comme le résultat des actions dans le monde, mais comme agentivité, la capacité d’agir dans le monde. Le Moyen Âge, parce qu’il appelle la pluri et la transdisciplinarité et qu’il ne peut qu’être pluriel de par sa nature, doit faire partie du monde et viser le monde qu’il est, en avant-garde de toutes les autres époques qui sont autrement disciplinaires par la vertu du développement des disciplines et des savoirs qui s’étendent jusqu’à aujourd’hui. » 

Pour envisager l’avenir avec le Moyen Âge, il importe avant tout de décrire et comprendre le dispositif médiéval, ses bibliothèques comme systèmes de pensées, ses productions culturelles, ses lois, son rapport au merveilleux, aux horizons, à l’autre.

La chercheuse franco-américaine se fait donc l’apôtre d’une « littérature connectée au monde d’aujourd’hui, n’ayant de cesse de mettre en regard le passé et le présent, non pour construire une téléologie d’histoire littéraire, mais pour les interroger l’un contre l’autre et pour « désoublier » ce que seule la relationnalité peut révéler comme présente en chacun. Connectée au monde dans lequel elle agit, cette littérature-monde ferait entrevoir un autre possible de la politique culturelle du monde néo-libéral. Il faut se saisir de ce Moyen Âge qui fait advenir le monde (contemporain). Faire l’histoire de la littérature connectée, par la méthode anamnésique, c’est faire une archéologie du possible, c’est devenir l’archéologue de l’avenir. »

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Zrinka Stahuljak, Médiéval contemporain, Pour une littérature connectée, Editions Macula, 2020, 96 pages

Editions Macula

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Se procurer Médiéval contemporain. Pour une littérature connectée

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