Il n’était pas si facile de se procurer les deux essais sur l’art que Georges Bataille publia chez Skira en 1955, Lascaux ou la naissance de l’art, et Manet.
Aussi leur réédition, dans la collection de poche intitulée Studiolo des éditions strasbourgeoises L’Atelier contemporain, est-elle une excellente nouvelle, d’autant plus que ces volumes sont préfacés par Michel Surya.
Je me propose ici de lire ses deux propos inédits comme des textes de pleine autonomie, plutôt que de reprendre point par point la pensée géniale de Georges Bataille.
Que remarque ici Michel Surya lisant l’auteur de La littérature et le mal, dont il est un découvreur absolu ?
– Bataille a plus de cinquante ans quand il écrit ces essais, lui permettant de poser sa pensée, quand il fut souvent obligé d’entrer par effraction dans l’histoire des idées.
– Bataille, telle est sa gloire, n’a aucun titre à faire valoir pour écrire sur ces thèmes – on n’a découvert Lascaux que quinze ans plus tôt -, seulement son exigeante formation de chartiste, Skira préférant le risque et les intuitions de la littérature à l’assurance des savants, parfois borgnesse.
– Bataille a depuis toujours l’ambition d’écrire une histoire universelle – de substrat hégélien – à laquelle bien entendu l’art participe, s’il n’en est le moteur – n’oublions pas qu’il a dirigé la revue d’avant-garde Documents (1929-1931).
– Bataille, relève Michel Surya – ce qui a été peu noté – possède une cousine historienne de l’art, Marie-Louise Bataille, ayant collaboré en 1932 avec Paul Jamot & Georges Wildenstein – qui finança… Documents – à un « catalogue critique des œuvres de Manet ».
– Bataille – certains s’en offusqueront peut-être, qui ne comprennent pas que le feu intérieur uni les plus divergents – est très proche en ses réflexions sur Manet de celles d’André Malraux, auteur chez Skira en 1947 des trois volumes de La Psychologie de l’art (repris sous le titre Voix du silence), comprenant tous deux que le peintre, à la façon de Mallarmé, introduisit une rupture radicale dans la façon de concevoir son art : non au sujet, à l’anecdote, à l’allégorie, à l’éloquence, à l’enflure, mais oui à la nudité, à la liberté, au silence, à l’impersonnel immanent, position valant la fureur des plus sots.
– Bataille, comme Malraux, comme Zola, considère que le tableau Olympia, accueilli de façon violente, est l’« origine infâme de l’art moderne », en ce que le choix de ce sujet introduit une égalité scandaleuse dans les objets désormais représentés.
– Bataille veut comprendre comment tout commence, ainsi l’art à Lascaux, « origine de la représentation figurée », saut considérable distinguant dès lors l’homme de l’animal à partir de la conscience de la mort et de la séparation irrémédiable.
– Bataille pense le miracle Lascaux, comme il y a un miracle grec, à partir de l’émerveillement, presque innocent – ce qui est plus que rare chez qui le monstrueux attire -, que lui inspirent les fresques aurignaciennes : la beauté émeut.
– Bataille à Lascaux – c’est peut-être un forçage – trouve la source de ses propres travaux, sur le rire, le sacrifice, l’érotisme, la dépense.
– Bataille ressent qu’à Lascaux le primitif est une réserve d’énergie et de nouveauté considérable.
Qui écrit, avec Michel Surya, auteur du Mort-né (Al Dante, 2016) : « Je suis seulement frappé du fait que la lumière se fasse sur notre naissance, au moment même où la perspective de la mort nous apparaît. »
Georges Bataille, Lascaux ou la naissance de l’art, préface de Michel Surya, chargée d’édition Alice Kremer, éditeur François-Marie Deyrolle, conception graphique Juliette Roussel, L’Atelier contemporain, collection Studiolo, 2021, 220 pages
Georges Bataille, Manet, préface de Michel Surya, chargée d’édition Alice Kremer, éditeur François-Marie Deyrolle, conception graphique Juliette Roussel L’Atelier contemporain, collection Studiolo, 2021, 160 pages
Georges Bataille – L’Atelier contemporain