Du boulot pour les psys, par Christophe Esnault et Lionel Fondeville, écrivains distingués

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« Toutes les filles sont à portée de main lorsqu’on est complètement saoul. » (Un bon jour pour mourir, Jim Harrison)

Vous le savez depuis longtemps maintenant, les warriors, les conquérants, les inamovibles, sont les premiers des hasbeens.

On ne peut que rater, être frustré, chuter, patauger dans le désespoir en évitant tout juste la noyade.

On ne peut que se suicider, et quelquefois renaître, avant de retomber plus bas encore.

Il n’y a pas de gagnant, mais une belle fraternité de miséreux, d’impuissants, de décavés, de larves. 

Dans le concert des parias, des oubliés, des dénigrés, chacun trouvera sa place, n’est-ce pas une joie ?  

Pour nous rappeler notre destin de protozoaire, rien de mieux que de lire, tous chakras ouverts, le recueil de nouvelles Mollo sur la win, des sieurs Christophe Esnault et Lionel Fondeville, publié en Wallonie par Cactus Inébranlable, maison d’édition fondée en 2011 par Styvie Bourgeois et Jean-Philippe Querton – des dizaines de titres, tels Les Pets de Damoclès du collagiste André Stas, Sous l’averse en mocassins, de Pierre-Alain Mercœur, ou, de l’éditrice elle-même accompagnée d’Emelyne Duval, Conversations avec un pénis.

Bien sûr, on se soigne ici à coups de médocs, d’électrochocs verbaux, et de coups d’œil sous les jupes des filles, le vice préservant, protégeant, électrisant, chassant l’ennui, tel notre meilleur ami sous amphétamines.

Lionel Fondeville et Christophe Esnault – présenté régulièrement pour ses solos shows textuels dans L’Intervalle – se connaissent par cœur, corps et esprit, qui ont commencé à créer ensemble dès 2006, notamment dans le cadre du groupe Le Manque, projet littéraire, musical et cinématographique : trois cents chansons, deux cents films, clips et haïklips, dont les titres cultes Nietzsche m’a tout piqué et Nichon chaton.

On est ici davantage du côté de Charles Bukowski et de Richard Brautigan, de la pêche à la truite et du verre de trop, que de La Princesse de Clèves et des Jeunes filles en fleurs, quoique, la topoétique ayant ses raisons que Monsieur Descartes et la bienséance ignorent généralement.

Un éditeur prend la parole (première nouvelle) : « Chaque année, je reçois entre mille six cents et deux mille tapuscrits. Une stagiaire, la plupart du temps étudiante en littérature, saisit dates de réception, titres et noms d’auteurs dans un tableur avant d’attribuer un numéro d’identification à chaque texte. Mais j’ouvre l’enveloppe moi-même. En vingt secondes, je peux déterminer que je ne publierai pas ce qu’elle contient. Parfois, la lecture du titre suffit. Par principe, j’accorde toujours au moins trois minutes à chaque tapuscrit avant de le rejeter définitivement. Je lis et j’annote moins de deux cents textes par an. Parmi eux, la majorité m’est recommandée, ou ce sont de nouvelles propositions de mes auteurs. Je ne publie finalement que six titres dans l’année. Ils me valent régulièrement les éloges de quelques critiques, et l’indifférence du grand public et des libraires. Juste de quoi survivre. Pendant longtemps, le seul avis qui m’importât avant toute publication fut celui de ma mère. Mais depuis mon mariage avec Aline, une ancienne stagiaire, maman et moi sommes brouillés. »

Demandez à Jean-Charles Massera, combien de refus et de lettres désolantes avant un début d’acceptation de votre manuscrit par un éditeur que vous ne connaissiez ni d’Adam, ni d’Eve ?

Vous êtes seul, téléchargez l’application d’un site de rencontres, et passez un premier après-midi avec la charmante Anna (nouvelle Humeurs), psychiatre désespérée cherchant l’amour absolu, sur un banc, dans une cabine de toilettes publiques, ou dans la morve coulant en continu sur son visage archangélique.

L’esprit d’entreprise étudie les performances sportives des athlètes angevins à l’aune des asticots glissés de façon vengeresse par un employé – ex zonard insomniaque – d’une grande marque de sport dans une poudre énergétique.

Clément Flapignon, de la revue Dissolvant, écrit à Christophe Esnault après l’envoi d’un tapuscrit tâché par un Ti punch : « Ne te suicide pas, reste ouvert à l’inattendu. »

Ça fictionne à mort, ça parle encore couteau sur la carotide ou enfance exaspérée : « Je déteste quand ils se disputent. Me réfugie dans ma chambre. Me cache sous les couvertures avec Bambi. Mains plaquées sur mes oreilles. J’ai peur. Que maman tue papa ou le contraire. Mais le survivant s’en prendrait à moi. L’idéal serait qu’ils s’entretuent. Je les déteste. » (4, avenue de l’Espérance)

Ah l’amour du narrateur de Dermatobia hominis pour le ver de deux centimètres – souvenir ému d’un voyage en Guyane – creusant son orifice à l’arrière de son épaule gauche !

« En rentrant chez moi, je file immédiatement vers la salle de bain. Ma dulcinée semble avoir grossi. Tant mieux, j’ai toujours préféré les femmes rondes aux filiformes. »

Le furoncle grossit, l’extase est violacée, l’humour guérit de tout, ainsi que les seins roux de Mathilde, femme d’exception, sur lesquels se répandent les serpentines liqueurs d’hommes (Thomas Sand).

Ottobiograffi commence ainsi, ou à peu près, et l’on devine qu’il y aura du dérèglement dans l’air : « Le système BiBii permettait aux professeurs de donner du travail à leurs élèves par Internet, et aux élèves de le remettre de la même façon. Nathalie Legrand corrigeait depuis une heure des rédactions sur le thème de l’autobiographie, et son humeur oscillait entre abattement et demi-sourires. » 

Christophe Esnault & Lionel Fondeville ? la rencontre d’Antonin Artaud, d’Unica Zürn, de Jacques Rigaut et de Sarah Kane sur une table de dissection/réparation appelée Littérature absolue.

Mieux qu’un anxiolytique ? un cocktail Mollo sur la win et La péremption, de Lionel Fondeville en ses capacités unicéphales.   

Ce texte très singulier procédant par fragments juxtaposés est une aventure de l’écriture, peut-être schizophèrene, une croyance en la parole comme acte performatif et expérience d’arrachement de liberté.

Il faut y piocher des séquences, des phrases glissantes, des blocs de sens évidents et obscurs.

« prolonger la soirée jusqu’à l’hypnose, poser son front contre le mur et dire ‘c’est lui ou moi’ »

On entre dans La péremption comme on découvre des territoires bizarres, un archipel aux étranges arborescences, des îles mobiles étonnantes.

Il en va ici de l’expérience d’écriture comme du jazz improvisé, à la fois savant et pariant sur la fécondité des hasards.

Les images s’assemblent, copulent, éclatent.

La leçon est minimale, mais essentielle : « Aucune attitude à proposer, aucun clin d’œil, aucune nouvelle, aucune vision, aucun regard, pas d’aptitude à la prostration, pas d’espérance. Je ne sais que vivre. »

Le langage nous lie et nous blesse.

Solution : « Il a accepté de continuer à parler à condition de ne plus jamais rien dire. »

Voilà pourquoi on écrit, pour ne surtout rien dire, afin de tout faire entendre.

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Christophe Esnault & Lionel Fondeville, Mollo sur la win, nouvelles, maquette, mise en page, infographie Styvie Bourgeois, Cactus inébranlable éditions, 2021, 112 pages

Cactus Inébranlable – l’éditeur qui gratte et qui pique

Christophe Esnault & Lionel Fondeville

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Le Manque – site

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Ecoutez le tube Nichon chaton

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Lionel Fondeville, La péremption, Tinbad-texte, 2021, 160 pages

Editions Tinbad

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Se procurer La péremption

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