Images du monde flottant, par Julien Gester, photographe

les plongeurs d_Okinawa et les mineurs du Congo

©Julien Gester

Les livres de photographie sont trop souvent des mausolées. On les ouvre d’abord avec ferveur, puis avec moins d’appétit, avant de les reprendre quelquefois, de les consulter encore un peu, de les classer, enfin de les oublier.

Prenant acte de cette désolante constatation, Géraldine Lay, éditrice chez Actes Sud, a décidé d’initier une collection de livres légers et libres comme des fanzines.

Conçus comme des essais photographiques beaux et risqués, les ouvrages de la collection 48 vues – comme autant d’images – seront confiés aux auteurs contemporains en voie de reconnaissance envisageant l’art comme un champ exploratoire, une singularité, une aventure du et des sens.

le panorama gris et la salle de billard bleu-vert

©Julien Gester

Le volume inaugural de cette exaltante entreprise s’intitule Cette fin du monde nous aura quand même donné de beaux couchers de soleil, premier livre de Julien Gester, connu notamment pour ses articles sur l’image dans Libération, accompagné de deux courts textes de la romancière Jakuta Alikavazovic, prix Goncourt du premier roman avec Corps volatils (éditions de l’Olivier, 2007).

Nous sommes, entre 2017 et 2020, en Europe de l’Ouest et de l’Est, en Asie et en Afrique, en Amérique du Nord et du Sud, en des territoires précisément situés géographiquement – aucune légende n’est donnée -, mais produisant pourtant dans le montage des images en diptyques une impression de monde flottant, de rêve éveillé, d’irréalité sur fond de regard documentaire.  

Des enfants traversent sur des bidons assemblés quelque bras de l’embouchure d’un fleuve africain, tandis qu’au-dessus d’eux – les images défilent de haut en bas, la lecture se faisant dans la bascule du livre en format italien – un couple converse dans un train passant devant la mer.

la poussette russe et le train traversant le marche dakarois

©Julien Gester

D’une très grande richesse visuelle, chaque photographie de Julien Gester fourmille de détails et de fenêtres de vision. Il y a des mots, des rideaux, des personnages, des décors, nous sommes dans le grand théâtre de la vie, cocasse et somptueux, drôle et vaguement inquiétant comme dans un film de Hitchcock – des innocents dans un monde coupable.

Tout est calme, mais les pulsions ne sont qu’ensommeillées, que l’on soit aux abords d’un Sex Shop ou dans un restaurant occidental avec un couple japonais photographié dans un moment de gravité.

Que se dit-on ? Que s’écrit-on sur le Smartphone ?

Chacun, qu’il soit bijoutier de Moyen-Orient ou portier d’un monastère bouddhiste, semble communiquer dans l’incommunicable.

Tout est agencé, ordonné, mais tout fuit, tout s’échappe, tout part en fumée de bâtons d’encens.

Des piles de livres tombées, des stèles impeccablement gravées, des billards en format panorama, des panoramas en format billard.

Il y a beaucoup d’enchantement ici, de disséminations, de fleurs de cerisiers dispersées par le vent.

le sex shop colombien et le vieux couple japonais

©Julien Gester

Chacun a sa religion, sa croix, son totem, ses crânes de dévotion. Chacun navigue à vue, par écrans interposés dans le labyrinthe des jours.

On invente des rites, on joue, on se pare, on se met en scène.

Cette fin du monde nous aura quand même donné de beaux couchers de soleil – tritre très dramaturgique, à la façon de Julien Gosselin ou du collectif L’Avantage du doute – se lit comme on traverse en apnée une ligne d’eau dans une piscine, comme on laisse l’imagination aller çà et là, comme on entre dans la surréalité de l’existence.

En sa quête de compréhension, en ses projets, en ses désirs, en sa foi, l’être humain est un curieux animal ne voyant pas le nonsense qui le lie et le délie partout sur la planète, dans un supermarché asiatique comme sur des quais indiens, dans un jardin à la française comme dans une jungle lointaine.

Construisant ses images comme des tableaux, Julien Gester travaille aussi en coloriste, en auteur d’une fresque fine et absurde ayant les dimensions d’une planète appelée Terre.

COUV. CETTE FIN DU MONDE

Julien Gester, Cette fin du monde nous aura quand même donné de beaux couchers de soleil, texte Jakuta Alikavazovic, éditrice Géraldine Lay, graphisme Yann Linsart, fabrication Camille Desproges, Actes Sud, 2021

Julien Gester – site

Actes Sud

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Se procurer Cette fin du monde nous aura quand même donné de beaux couchers de soleil

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