©Anaïs Boudot
Qui se souvient, en-dehors de quelques noms iconiques, de toutes ces femmes ayant posé pour des maîtres célébrés dont la gloire les a cruellement invisibilisées ?
Invitée par The Eyes Publishing a revisité sa collection de plaques de verre des années 1920 à 1940, Anaïs Boudot a choisi, pour un livre de superbe facture intitulé Les Oubliées, de ressusciter des visages d’inconnues, leur rendant hommage par la technique de la dorure à l’or fin.
Dialoguant avec Picasso et Brassaï, qui avait oublié une plaque de verre dans l’atelier du peintre, suscitant ainsi pour l’artiste catalan des recherches nouvelles, lui-même intervenant de façon expérimentale quelques années plus tard sur la gélatine des négatifs par la méthode du grattage, l’ouvrage de l’artiste française est une composition superbe sur la fragilité et le miracle des apparitions.
©Anaïs Boudot
« A passer du temps avec ces visages féminins, confie Anaïs Boudot, tout en côtoyant deux artistes (hommes) historiques aux relations de violence et de pouvoir en particulier envers les femmes, je sens monter en moi le besoin de réagir. Je me demande où est Dora Maar, où sont les autres. Ce sont elles ces « oubliées », par leur mise à l’écart durant des années de l’histoire de l’art, reléguées au rang de muses, de modèles et de compagnes. Leur absence est criante et c’est sans doute cette absence que ces images tentent de mettre en lumière. »
En son livre très graphique, dans la résille du dessin, surgissent des formes féminines, des courbes, des éléments d’anatomie, des tétons, des cuisses, des dos, et des traits presque enfantins.
©Anaïs Boudot
Hymne au corps féminin, à sa douceur, à sa force, à son étrangeté, Les Oubliées est un acte de réparation, mais surtout une œuvre de contemplation, de mystère et de grâce.
Dans un texte de grande justesse, Héloïse Conésa, conservatrice du patrimoine à la Bibliothèque nationale de France chargée de la collection de photographie contemporaine, analyse la démarche de l’artiste : « Chez Anaïs Boudot, la dorure permet de faire suture comme dans la pratique artisanale japonaise du Kintsugi : elle accentue le regard de ces héroïnes anonymes, mais aussi leur tête, leur main, leur cœur, tout ce qui les extrait de leur condition accessoire pour leur redonner une présence au monde. »
La résurrection des corps en leur aura n’est-elle pas une folle et magnifique ambition ?
Anaïs Boudot / Picasso / Brassaï, Les Oubliées, texte Héloïse Conésa, édition Vincent Marcilhacy & Véronique Pugnaud, direction artistique design graphique Bureau Kayser, The Eyes Publishing, 2021, 80 pages – 1000 exemplaires
©Anaïs Boudot
Anaïs Boudot est représentée par la galerie Binome (Paris)
©Anaïs Boudot