Truman Capote, New York, 1947, par Irving Penn, photographe

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Truman Capote, New York, 1948, série Corner Portraits, 1947-1948, Irving Penn

« Jusqu’à ce moment il n’avait pas mesuré sa solitude. A présent qu’il en avait pris conscience, il se sentait vivant. Il n’avait pas désiré se sentir vivant. Être vivant c’était se souvenir des rivières brunes où courent les poissons et du soleil sur des cheveux de femme. » (Truman Capote, in La guitare de diamants et autres nouvelles)

J’ai scruté, beaucoup regardé, tourné et retourné les pages.

Allais-je choisir Tom Wood (Rachel, 17 ans, 1985), Edward Weston (Nu sur une dune, 1936), Paul Strand (Rebecca, New York, 1920), Magdalena Wywrot (La Fille qui fête son anniversaire, Cracovie, Pologne, 2017), Peter Puklus (Destructeur, Budapest, 2018), Wolfgang Tillmans (Amour, les mains dans les cheveux, 1989), Lee Miller (Autoportrait, 1932), Felice Beato (Samouraï, Yokohama, 1864-1865), ou tout simplement la superbe photographie de couverture tirée d’une série intitulée From Silver Meadows (1995-2012), de l’Américain Todd Hido ? 

Non, ce sera l’extraordinaire Truman Capote, New York, 1948, par Irving Penn, c’est-à-dire le portrait qui me saisit le plus dans le bel ouvrage de Phillip Prodger, Alter Ego, Une histoire du portrait en photographie, publié par les Editions Textuels.

Il s’agit ici, en 250 photographies, du daguerréotype à l’ère numérique, d’établir en un inventaire sans systématisme – le parcours est thématique – l’histoire d’un genre ne cessant de questionner la notion d’identité, qu’il s’agisse d’un usage anthropologique du médium, de la photographie vernaculaire, de la mode ou des plus récentes pratiques iconographiques.

Des œuvres de pionniers, des moins connus, tout va bien, l’œil peut naviguer en toute confiance.

Qui est Irving Penn en 1948 ? Un photographe de mode reconnu de trente ans, établi à New York, ayant acheté un Rolleiflex dix ans plus tôt, rencontrant notamment de nombreuses personnalités pour le magazine Vogue.

Et Capote ? C’est un jeune écrivain de vingt-trois ans, né à la Nouvelle-Orléans, ayant grandi à Jacksonville, venant de publier son premier roman, Les Domaines hantés. Il vient du Sud, aime les hommes, et refuse de s’en cacher. Quelques titres de nouvelles déjà publiées : Les murs sont froids, Un vison à soi, Le contour des choses, La traversée de l’été, Monsieur Maléfique. Il est repéré, ami de Burroughs, on le courtise.

Chez Penn, l’écrivain est un géant nanifié, un dément, un démon coincé dans l’angle aigu d’un V-flat, panneau pliable utilisé pour la photo de studio avec lequel travaillait le photographe.

Frère en étrangeté de Giacometti sous la pluie, les mains enfoncées dans un manteau à chevrons trop grand pour lui, il happe immédiatement le regard, à genoux sur une chaise usée, l’épaule appuyée sur la paroi de plâtre.

Capote est un petit frère fragile, abandonné, perdu, mais il est surtout l’absolument autre, capable de déplier sa puissance, farouche et déterminé, les cheveux passés à la brillantine.

Penn a capturé un oiseau – le romancier avait la voix haut perchée – d’une espèce inconnue, dans, souligne avec justesse Phillip Prodger, « un espace existentiel à la Bertolt Brecht ».

J’ouvre toujours les livres comme des objets de secours, je suis ardent, je cherche comme un fou, en quête des moments épiphaniques.

En voilà un.

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Phillip Prodger, Alter Ego, Une histoire du portrait en photographie, traduction Marie Delaby, Editions Textuel, 2021, 240 pages

Editions Textuel

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Se procurer Alter Ego, Une histoire du portrait en photographie

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