Moscou 1994, partie d’échecs, par Franck Pourcel, photographe

©Franck Pourcel

Lorsque j’ai reçu Moscou 1994, de Franck Pourcel, j’étais en train de lire, hors de toute actualité éditoriale, mais en accord avec mon actualité existentielle, le fameux Ma confession, de Léon Tolstoï, oeuvre écrite à cinquante-et-un ans par un auteur adulé traversant une profonde crise spirituelle.

« Qu’est-ce qui sortira de ce que je fais aujourd’hui ? de ce que je ferai demain ? Qu’est-ce qui sortira de toute ma vie ? Quel est le sens de la vie ? »

L’ouvrage en nuances de gris de Franck Pourcel, dédié à Françoise Nunez, et à tous ceux qui refusent la guerre en Ukraine, relate un moment apaisé, drôle, absurde, un peu fou, dans la parenthèse d’espoir ouverte dans la Russie post-soviétique.

©Franck Pourcel

Inspiré par le courant américain de la Street Photography, le jeune photographe témoigne par ses images d’une ville ivre et complexe, modeste et géante.

La capitale russe semble sortir d’un long sommeil, Moscou 1994 est un conte réaliste doublé d’un document poétique.

Le regard de Franck Pourcel, fils spirituel de Jacques Tati, est facétieux, légèrement impertinent, et surtout formidablement empathique.

Avec un tel cicerone, Moscou est une ville tordue, burlesque, doucement sauvage.

On serpente avec lui dans un espace en plein bouleversement, entre signes de l’ancien monde, persistance d’une culture vernaculaire, et fièvre de construction.     

©Franck Pourcel

La libération de l’économie déconcerte les esprits, dont le 35 mm du voyageur avide de découvertes, au plus près de ses sujets, révèle la déstabilisation.

« Henri Cartier-Bresson, précise-t-il, avait défini son instant décisif auquel je m’essayais avec grande difficulté. Au fond, je souhaitais me positionner sur un temps long : « le moment », celui où les photographies veulent traduire une durée et les multiples temps de l’histoire, celui où elles tentent d’éviter toute forme spectaculaire et s’écartent des esthétiques qui conditionnent notre regard. Cela restera mon principe qui me dirigera vers les sciences sociales et l’anthropologie visuelle. »

Franck Pourcel rencontre le peuple, il est peuple lui-même, passant parmi les passants de l’Histoire, femme en fichu et ouvrier sans le sou.

La vie moscovite est impécunieuse, il faut bricoler, tenir comme on peut, mais chacun en a vu d’autres.

©Franck Pourcel

On attend, on discute, on marchande, on travaille un peu, pas du tout, ou beaucoup trop.

Les incongruités font le sel des jours, la bureaucratie se heurte à l’inventivité des situations.

Placide, le Penseur de Rodin semble pris dans une tempête, moins géophysique qu’idéologique.

De port noble, blondes ou brunes, les femmes russes sont belles de leur franchise alors que s’approche le petit Français.

La cow-boy Marlboro envahit les immeubles de la périphérie, alors que des jeunes gens, ayant le charme des héros truffaldiens, se sourient près d’un gratte-ciel stalinien.

Rodchenko n’est pas mort, Franck Pourcel le ressuscite en quelques images.

Attentif à la vitalité de la population moscovite, le photographe semble parier avec elle sur l’avenir.

« Franck Pourcel, analyse en postface le géographe Jean Radvanyi, ne photographie pas les vainqueurs de la crise, ceux des Russes qui, dès la fin des années 1980, se sont saisis des premières réformes libérales pour ouvrir des magasins ou des services, acheter pour pas grand-chose des morceaux de patrimoine. »

Ne pas abandonner les plus abandonnés, n’est-ce pas cela l’éthique haute  ?

Franck Pourcel, Moscou 1994, postface Jean Radvanyi, édition Fabienne Pavia et Céline Queric, Le Bec en l’air, 2022, 112 pages

http://www.documentsdartistes.org/cgi-bin/site/affiche_art_web.cgi?&ACT=1&ID=580

https://www.becair.com/produit/moscou-1994/

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