Attrape-moi si tu peux, éloge de la photographie amateur

« Volontiers flâneur, s’écartant avec désinvolture des conventions et contraintes, « l’esprit amateur » semble pénétrer par une porte dérobée dans une sphère privilégiée, non préparée à la prise photographique. Presque par inadvertance, il recompose une réalité singulière et son exploration sémillante est à la fois conséquence et source d’émerveillement. »

Publié à l’occasion de l’exposition En dilettante, Histoire et petites histoires de la photographie amateur au Musée de la Photographie de Charleroi (juin-septembre 2022), le catalogue éponyme est une mine d’or pour les zélateurs de la photographie familiale sans prétention, et pourtant parfois terriblement émouvante.

Cet ouvrage prenant appui sur les collections du musée wallon, mais aussi sur celles d’un collectionneur privé (Michel F. David) et de la Conserverie, lieu d’archives dédié à la photographie vernaculaire fondé à Metz par Anne Delrez, propose un voyage vagabond en un plus de quatre cents illustrations dans les fonds familiaux, archives de peintres et membres d’associations de photographie.

Il y a quelques noms pouvant être retenus dans l’histoire du médium, mais les auteurs de la plupart des vues, autochromes et autres supports, sont anonymes, le corpus choisi s’arrêtant à l’arrivée du numérique – qui demanderait un travail spécifique.

Ici, on ne hiérarchise pas, ni les genres, ni les noms, et les supposés ratages ne sont pas considérés comme des mises à l’index.  

Les premiers photographes furent pour l’essentiel des individus financièrement privilégiés, le fameux auteur de The Pencil of Nature (1844-1846), William Henry Fox Talbot, inventeur notamment du procédé négatif-positif, s’adressant à une audience d’amateurs, quand tous l’étaient encore.

Les grands genres du paysage et du portrait sont d’abord privilégiés, mais très vite apparaissent des scènes quotidiennes ou intimistes, la découverte des procédés positifs directs – ainsi le collodion humide – permettant en quelque sorte de démocratiser la pratique.

A partir des années 1870, « grâce aux plaques sèches, couplées au développement d’appareils de taille réduite (à main, à bandoulière, appareils « détectives » pour viser sans être vu) et à la conception de différents obturateurs mécaniques, c’est véritablement une photographie instantanée et nomade qui s’épanouit », la commercialisation en juin 1888 du premier « boîtier Kodak » (sous l’impulsion de l’industriel Georges Eastman) opérant une révolution bénéficiant peu à peu à tous.

La place de la photographie dans le domaine des arts (majeurs/mineurs ?) et des pratiques populaires (dans tous les contextes) ne cessera dès lors de s’affirmer.  

On trouve beaucoup de merveilles dans En dilettante, des formats ronds formidables – caractéristique des premiers tirages Kodak -, redoublant par la forme sphérique de l’image celle de l’œil (on peut se souvenir de Nadar au Turkestan).

Il y a des scènes de canotage, une rue à Tanger, une coquette jouant de l’éventail, un voyage en paquebot, des enfants bien habillés assis sur un tronc d’arbre, une jeune femme devant son piano, tout un peuple visiblement heureux d’être là – notre joie serait-elle pour une grande part épuisée aujourd’hui ?

La vie s’offre ensuite en panoramique, des paysages vus par des explorateurs, notamment le duc d’Orléans, prétendant au trône de France et naturaliste (chasseur) passionné.

Voici la Place Saint-Marc en 1900, des scènes de concours hippiques, des rues parisiennes, des ports, des hommes penchés sur le cratère fumant du Vésuve, des promeneurs de haute montagne.

Arrive la couleur et la splendeur des autochromes

« Qui se prend de passion pour les autochromes, écrivent malicieusement les auteurs, ne regarde plus les pommes de terre de la même manière. C’est en effet la solution d’une couche de minuscules grains colorés de fécule de pomme de terre qui, après bien des essais, a finalement été retenue par les frères Lumière pour former la base du procédé autochrome et ainsi satisfaire l’attente des photographes, amateurs ou autres, depuis longtemps désireux de voir s’animer leurs créations de la multitude des teintes de la vie. Qu’au caractère brut de ce produit champêtre puisse se substituer, au cours du processus de production, la délicatesse, le raffinement des plaques autochromes est une particularité insolite qui contribue au côté magique de cette invention. »

On peut les regarder longtemps ces composées colorées au double parfum de nostalgie et d’immédiateté.  

Partiriez-vous avec moi Madame vers la Côte d’Azur en Citroën Trèfle ?

Ce bouquet de fleurs est-il pour votre maman ou pour moi ?

Suzanne, mon amie, marions-nous demain ?

On fouille les archives, et l’on découvre avec bonheur les trésors de l’ABP, l’Association Belge de Photographie, les images du baron Raphaël de Sélys Longchamps (né à Liège en 1841), du Bruxellois Aldolphe Lacomblé (1857-1935), de Léon Delange (1881-1975), tant d’artiste ardent, généreux, talentueux dont les œuvres ne demandent qu’une réévaluation scientifique d’urgence pour les faire entrer dans la grande histoire de la photographie.

Ainsi vécurent certains de nos aïeux, ainsi était le monde avant qu’il ne soit intégralement pollué, ainsi étaient les enfants bientôt jetés dans l’horreur de la première guerre industrielle.

Il faudrait un diaporama de plusieurs heures pour montrer l’ensemble des images exposées dans ce livre aussi impressionnant qu’enthousiasmant.

Un peu d’érotisme lesbien ? Vous appellerez votre photographie avec Jacques de Lalaing, Etude d’un combat de femmes.

Elles sont belles et désirables nos grands-mères callipyges, et toutes ces mariées souriantes dans les albums de famille mordus par le temps.

Oui, tout ceci a été, tout ceci est attesté, l’invention photographique – on aurait tendance à l’oublier tant nous en usons jusqu’à l’overdose – est tout de même une pratique de sorcellerie capturant la mort au travail, dans l’éclatante présence des choses entrant dès l’instant du déclenchement dans la poétique du jadis.

En dilettante, Histoire et petites histoires de la photographie amateur, textes de Michel F. David, Anne Delrez, Adeline Rossion, 2022, 432 page

shttps://editionsducaid.com/fr-fr/products/en-dilettante-histoire-et-petites-histoires-de-la-photographie-amateur

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