
Les Amants, 1928, René Magritte
« Tu crains trop, ta peur ne sert à rien, ta peur c’est la mort que tu portes. »
Le Dialogue est peut-être le meilleur livre de Simon Johannin, auteur notamment de L’Eté des charognes (2017), adapté en bande-dessinée par Sylvain Bordesoules chez Gallimard.
Il s’agit d’une conversation continue entre un homme et une femme, sans aucun paragraphe narratif, comportant simplement quelques très courtes didascalies.
On peut songer brièvement pour la forme dialogique et la dynamique du langage à La Clôture de l’amour, de Pascal Rambert, mais ici tout s’ouvre et s’interroge plutôt que de mener à l’analyse d’un échec et l’inéluctable d’une séparation.
Le lecteur découvre un ballet de paroles évoquant le mystère d’une rencontre fondamentale, et l’on ne sait plus toujours quel est le genre exact du locuteur, l’ensemble des phrases fusionnant en un même souffle.
Elle : « Je voulais sentir ta peau. Elle m’appelait. J’ai senti sous ta peau le feu qui brûlait. Tu portes en toi le feu froid, le feu chaud, le feu de tous les feux. Tu portes en toi une formule magique. Ta peau avait l’air douce mais ton regard fuyait, alors je suis venue. »
Le désir est là, et l’enfance coupée en deux, et la mort aux bras de glace.
Souriez-vous à l’amour lorsque vous embrassez l’homme ou la femme qui anime votre coeur ?
« Tout de suite j’ai voulu te prendre ta main. Quand quelqu’un me plaît, j’ai toujours des gestes d’amoureux. C’est bête, je ne fais pas exprès. »
L’un et l’autre tentent de se dire, d’approcher le noyau ardent de l’amour, dont on peut mourir.
« J’ai vu tes épaules, elles faisaient un pont dans la nuit que j’ai voulu traverser pour aller jusqu’à toi. Parce que ta peau, et la formule sous ta peau m’appelaient. C’était si fort. J’ai su que je pouvais mourir en venant dans ton monde, et je suis venue. Car là où la mort est franche, la vie l’est aussi. »
L’intimité s’avoue sans fard, odeurs, mouvements, danse de la langue.
Lui est habité par la mort, l’urgence, les charbons rouges – avalés – de la consumation, de la consomption.
Elle : « Je sais que tu me parles, j’entends ta voix qui m’excite, parce qu’elle est grave et chaude, comme une bête sauvage et marchant dans ma nuit. Mais je n’ai pas tes mots, je me fiche de ce que tu racontes. »
Les amants s’enlacent, entrelacent leurs mots.
« Tu vas dans le sexe comme tu vas dans la mort, tu embrasses tout, tu dévores. »
Elle encore : « C’est pour ça que je dis qu’on ne baise pas vraiment. Tu sèches tes larmes dans mon corps, ça n’est pas du sexe. Tu n’es pas puissant dans ces moments-là, tu es fragile, tu reviens. »
La parole heurte les démons, les chasse peut-être.
« Maintenant prends ma main, et ne la lâche sous aucun prétexte. Quoi qu’il arrive, quoi qu’il se passe, il ne faudra pas la lâcher. »
Les phrases prennent de l’ampleur, les répliques sont plus longues, c’est l’arrivée des Grands Transparents dans le huis-clos de l’amour.
C’est un dialogue avec l’âme : « Tu dois lâcher cette chose que tu portes, et que tu n’es pas. Tu n’es pas ces ténèbres que ton regard habite, ces ténèbres viennent des autres et d’ailleurs. »
La Camarde camarade reculera-t-elle ?
Et l’on ne sait plus qui parle.
« Ouvre grand ta bouche, que puisse y glisser mon murmure. »

Simon Johannin, Le Dialogue, éditions Allia, 80 pages

https://www.editions-allia.com/fr/livre/966/le-dialogue
