Eloge de l’ouverture comme liberté, par Abdul Rahman Katanani, artiste, et Barbara Polla, écrivain

©Abdul Rahman Katanani

« Je me suis mis à planter des arbres chez moi au Liban, pour créer un dialogue continu entre mes arbres et mes idées à propos des arbres. Les arbres que je plante, c’est comme des enfants. Désormais je les embrasse, je les prends dans mes bras, ils sont proches, oui, comme un enfant. Les arbres que j’ai plantés, ils savent que c’est moi, nous avons des sentiments réciproques, il y a une énergie qui passe entre nous, une énergie de connexion. Un jour que j’étais en voyage, ma mère m’a écrit : ‘Tu manques aux arbres, ils poussent moins bien quand tu n’es pas là.’ » 

La rencontre de l’artiste franco-palestinien Abdul Rahman Katanani est l’un des moments les plus importants de mon été.

©Abdul Rahman Katanani

Une rencontre non par la présence physique, mais par le texte révélant une voix, une pensée, une sagesse.

Dans un entretien avec la galeriste et écrivain Barbara Polla, ce sculpteur, dessinateur, assembleur, poète, né en 1983 au Liban dans le camp de Sabra fait entendre quelles sont pour lui les nécessités de l’art dans un monde aux abois et manquant de joie.

Tout commence par l’observation des abeilles dans le chouf, la montagne libanaise, et la compréhension intime d’une interrelation entre tous les vivants.

Contre l’usine-monde et l’obsession de la rentabilité, penser rythme propre, plaisir d’être, temps long, lumière naturelle.

©Abdul Rahman Katanani

Chercher à entrer en contact avec les arbres, profiter de leur science, se laisser soigner par eux.

Être libre, en comprenant l’impératif de vivre en harmonie avec la nature.

« En réalité, les vraies racines des hommes, les vrais liens de communication avec les autres, ce sont les idées. Les racines des arbres sont leurs idées. J’ai des visions, ces images que mon grand-père a plantées dans ma tête, la terre, les orangers ; ces images peuvent devenir une graine d’idées et pousser comme les racines des arbres ; mais elles peuvent aussi devenir une prison. L’idée de la Palestine nous bloque dans les camps de réfugiés. »

Quitter le béton, les fils de fer barbelés, et tous ceux qui occupent indument notre corps comme notre cerveau.

Bouleversant l’idée de la virginité, Abdul Rahman Katanani pense que la vraie virginité ne résidence pas dans la protection de l’hymen, mais dans le fait de ne pas être « occupée », envahie, polluée, le corps libre témoignant pour l’artiste d’une haute idée de la beauté.

©Abdul Rahman Katanani

Quand est-on vraiment dans son corps ? Qui habite en nous ? Où sommes-nous vraiment ?

Affirmant la liberté des femmes, l’artiste sculpte des vulves – aussi des phallus.

« En bidons pliés, précise Barbara Polla, froissés, écrasés, réhaussés, multicolores, il représente tous les plis et toute la pulpe des vulves des femmes, pli après pli, mystère après mystère, beauté après beauté. Des vulves en tôle, donc, des vulves noires, bleues, rouges, vertes ; des vulves explicites. Toute la beauté de l’anatomie est là, précise, poétique, individuelle et diversifiée. » Il n’y a pas une vulve, comme il n’y a pas « la femme » : il y a les femmes, il y a les vulves. Belles, voluptueuses, libres, singulières. Exposées dans toute leur splendeur. »

La dimension politique est ici évidente : affirmer la liberté des femmes, regarder les vulves comme des fleurs, les admirer comme un témoignage de l’harmonie profonde entre l’humain et la nature.

L’amour ne peut être lié à la notion de propriété, il doit être sans entrave, absolument.

« Je veux l’innocence, dans la rencontre. L’innocence, dans la rencontre, c’est quand son but est la rencontre elle-même et l’échange d’émotions. Dans l’attention que j’accorde aux femmes, j’essaie d’être innocent, ce qui pour moi signifie que je n’ai pas un but précis, un objectif, un agenda personnel égoïste par rapport à la rencontre. Je fais le choix, je prends la décision d’enrichir mes propres sentiments dans mes rencontres avec les femmes. »

Abdul Rahman Katanani représente toute la vie, les enfants notamment – en tôle ondulée, en barils de pétrole, jouant avec des fils de fer barbelés – dans la spontanéité de leurs jeux.

Il y a chez lui, qui appelle son ascèse spirituelle workshop intérieur, une éthique de la rencontre, de l’ouverture mutuelle, de la joie et de l’humour comme puissance politique.

Ne pas être seul, repousser les frontières, agir au nom de l’unité des vivants, être attentif à chaque présence, étudier pour s’agrandir.

« Si je réalise et assume mes choix, affirme-t-il avec conviction, alors je suis en paix. »

Oui.

Abdul Rahman Katanani, Paroles d’artistes, propos recueillis par Barbara Polla, postface de Karine Tissot, Slatkine, 2023, 110 pages

https://www.abdulrahmankatanani.com/

https://analixforever.com/

https://www.slatkine.com/fr/editions-slatkine/75880-book-07211247-9782832112472.html

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