Voyage astral en vies minuscules, par Céline Clanet, photographe

Chemin du pré Saint-Jean, Buc ©Céline Clanet

« Les insectes portent tant de diversité morphologique, écologique et comportementale, que jamais on ne peut s’ennuyer à les regarder, ni surtout à les écouter striduler ou cymbaliser avec leurs corps articulés. » (Jérôme Sueur, écoacousticien)

L’impression est immédiatement celle d’une constellation, belle et étrange.

Les images sont en noir et blanc, le format vertical permet une ample respiration doublée d’une élévation, la désorientation est bien moins d’effroi que de volupté.

Ground Noise, de Céline Clanet – voir le réussi Kola (Loco, 2018), présenté dans L’Intervalle le 10 janvier 2019 – fait référence au bruit parasite nous alertant sur une présence inattendue, et s’inscrivant dans notre cerveau comme un picotement électrique de réveil.

Papillon nocturne Niditinea striolella, bois de Vincennes ©Céline Clanet

Consacré au monde peu connu des arthropodes, cet ouvrage est l’album d’une naturaliste sauvage et très sérieuse alliant la scientificité à la dimension poétique de l’existence.   

Possédant un exosquelette soumis à la mue, les animaux qu’observe Céline Clanet semblent provenir de quelques abysses encore inexplorés.

Comprenant des images réalisées dans différentes forêts françaises et de vues microscopiques, Ground Noise mêle les échelles, déstabilise les perceptions, passe de l’autre côté du miroir.

Cabane, près de l’étang Braque, Guyancourt ©Céline Clanet

La tonalité est doucement fantastique, ouverte à l’héraldique du vivant.

Une mare, un sentier, un bois, l’altérité absolue n’est pas forcément à rechercher dans quelque planète située à des années lumières de notre astre nourricier, mais ici et maintenant, là, sous nos pieds, au bout du bras, ou de l’oeil de l’appareil de vision ultraperfectionné.

Combien de continents dérivants sur la Terre-Mère ? Cinq ? Non des milliers, des millions, des milliards, autant qu’il y a de formes de vies géniales et insaisissables.

Aile de diptère Thaumaleidae, bois de Vincennes ©Céline Clanet

L’inventivité du créé est vertigineuse.

Qu’est-ce que cette île nimbée d’une pelote laineuse en suspension dans le firmament, comme une étoile de théâtre ?

Est-on du côté de l’infiniment petit ou du gigantisme ?

Des ailes, des radicelles, des transparences.

Algues, étang du Val d’Or, Guyancourt ©Céline Clanet

Tout est structuré, architecturé : la nature est en ordre.

Les roches flottent, et tout déborde de sensualité.

Ground Noise relève d’un panérotisme premier, à l’origine de toute chose.

La géométrie est transcendante, il n’y a pas de reste, mais une logique supérieure organisant chaque point ou fragment de l’univers.

Œuf d’arachnide non éclos, bois de Vincennes ©Céline Clanet

Des végétaux, des chrysalides, des spectres.

Tout bruit de présence, tout est calme dans la fécondité ininterrompue.

Tout se forme, s’informe, se transforme.

Mystère des écorces, des surfaces, des peaux.

Palpitation merveilleuse d’organismes vivants échappant à la nomination.

Céline Clanet a construit un volume de pure sidération.

Des cocons, des souches, des duvets.

Des trous d’eau, des feuillées, des plumes.

Branche, forêt de Lacam-d’Ourcet ©Céline Clanet

Nous pensons quelquefois avoir achevé pour une grande part l’exploration du vivant, mais rien n’est plus faux ou naïf.

On ne sait rien, c’est très réjouissant.

Les protagonistes s’appellent saule blanc, toile d’araignée, champignon saproxylophage, scarabée, coquille de micromollusque, tête de diptère, écaille d’aile de phalène.

« Une grande partie des vibrations animales, explique Jérôme Sueur à Céline Clanet, nous échappent, que ce soient les pulsations alaires de certaines mouches, les infrasons des éléphants ou les ultrasons des chauves-souris. Nos oreilles ne connaissent pas non plus les stridulations des punaises aquatiques, no les grondements des poissons dans les profondeurs océanes, ni les vibrations des insectes qui passent à travers les tissus des plantes. »

N’est-ce pas parfaitement réjouissant quand nous mourons de notre prétention de maîtrise ?  

Céline Clanet, Ground Noise, entretien avec Jérôme Sueur, propos de Thierry Meylheuc, édition Géraldine Lay, assistée de Nesma Mehroum et Axelle Aldon, conception graphique Christel Fontes, Actes Sud, 2023, 128 pages

Exposition à Croisière (Arles), jusqu’au 24 septembre 2023

https://www.actes-sud.fr/node/37001

https://www.celineclanet.com/

https://www.leslibraires.fr/livre/22236793-ground-noise-jerome-sueur-actes-sud?affiliate=intervalle

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