Haïti, pas très loin de l’Apocalypse, par Bruce Gilden, photographe

© Bruce Gilden / Magnum Photos

« Si vos photos ne sont pas assez bonnes, c’est vous qui n’êtes pas assez près. » (Robert Capa)

Il y a dans Haïti, de Bruce Gilden, une tension permanente, une atmosphère de tragique existentiel, une fièvre.

On pense à Orson Welles pour les cadrages expressionnistes façon La soif du mal (1958), la sensation de corps-à-corps, l’impression de vertige.

© Bruce Gilden / Magnum Photos

Qu’il soit dans une île marquée par des difficultés et une violence endémiques, à New York, en Irlande ou en France – voir chez Atelier EXB Lost and Found et Cherry Blossom -, Gilden fait du théâtre de la rue son théâtre d’opération.

Photographiant Haïti depuis 1984 – dix-neuf visites jusque 1995, puis trois voyages après le tremblement de terre de 2010 -, celui-ci y a trouvé un peuple ardent, une vibration de vie intense, une dimension carnavalesque intime.

« La rage et l’extase, déclare le membre de l’agence Magnum à l’occasion de la parution de Haïti, décrivent de manière appropriée le type d’émotions mélangées que l’on peut ressentir chez les Haïtiens après que leur pays a été exploité tout au long de son histoire. »

© Bruce Gilden / Magnum Photos

Bruce Gilden cherche la force visuelle, les lignes graphiques puissantes, la sensation de présence immédiate.

Tout ici relève, malgré les catastrophes touchant régulièrement l’île, d’une énergie brute communicative.

Le photographe ne se cache pas, chacun le voit, on ne sourit pas au Gringo, l’étranger semblant être perçu avec inquiétude et hostilité, comme s’il s’agissait d’un envahisseur.

Seul contre tous, Gilden ? Peut-être.

Seul avec tous ? Peut-être.

Muni de son flash tenu à la main, le photographe est un alien.

Les visages qu’il croise sont inquiets, durs, épuisés.

© Bruce Gilden / Magnum Photos

L’impression d’enfermement à ciel ouvert est notable, les anciens esclaves ayant acquis dans la lutte leur indépendance n’ont pas fini de souffrir.    

Il y a ici des gestes vaudou, des armes tirées, une chaleur accablante faisant ruisseler les peaux.

Quelque chose se joue de l’ordre d’une guerre permanente, il faut survivre, se battre au quotidien, transformer la mort en puissance d’être.

Trafics, commerce informel, débrouilles.

Révoltes, émeutes, volonté d’en découdre.

On prie Jésus, on se drogue, on vole, on se repent.

Misère et folie des damnés de la Terre.

Bruce Gilden montre un pays étranglé, soumis à la loi du Talion, paraissant sacrifié par Dieu lui-même.

© Bruce Gilden / Magnum Photos

Couteau, boue, sang.

Un peuple cherche à se libérer, par les rites magiques, par l’alcool, par la musique, par l’extrême fatigue, par la mort.

Haïti est un cri de douleur.

En postface, l’écrivain Louis-Philippe Dalembert signe un texte superbe, lyrique, calmement enragé, Le pays qui croyait en son humanité : « En vérité, un lieu à l’agonie, où les gangs ont remplacé la dictature au jeu du macabre ; où le peuple, las, troque par moments sa défroque de martyr contre la casaque de justicier aveugle. Où les éléments charrient de tout temps leur part de désolation. Un lieu abandonné aux catastrophes diverses et variées. »

Bruce Gilden, Haïti, texte Louis-Philippe Dalembert, édition Jordan Alves, design graphique François Dézafit, fabrication Charlotte Debiolles, François Santerre, Atelier EXB, 2023, 144 pages

https://exb.fr/fr/home/600-haiti.html

Bruce Gilden est membre de l’agence Magnum depuis 1998

https://www.magnumphotos.com/photographer/bruce-gilden/

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