
©Jean-Christophe Béchet
« Dans mon approche personnelle, confie Jean-Christophe Béchet au galeriste Thierry Bigaignon au terme d’un dialogue passionnant, la dimension poétique est aussi importante que la dimension documentaire. Et je crois qu’aujourd’hui la poésie de la photographie passe principalement par la matière même du tirage grâce à tous les nouveaux supports dont nous disposons. »
Après European Puzzle, Habana Song, Urss été 1991 et Macadam Color Street Photo, Jean-Christophe Béchet poursuit aux Editions Loco l’exploration de ses archives avec Sauvage matérialité, partie la plus expérimentale de son œuvre.

©Jean-Christophe Béchet
Depuis le début des années 2000, l’artiste au tempérament de chercheur s’intéresse aux accidents dans l’image, à ce qu’un esprit trop rapide considèrerait comme raté ou à évacuer, à la part invisible, mais productive, de la matière photographique.
L’esthétique se situe donc ici du côté de la créolisation, du métissage, des îles dérivantes enchantées.
Montrés en 2013 aux Rencontres d’Arles, les diapositives et polaroïds de la série Accidents sont ici complétées par toutes sortes d’autres hybridations et surprises dues à la fantaisie chimique, aux mystères des pellicules périmées, et aux inattendus des traitements croisés.

©Jean-Christophe Béchet
Polaroïd positif périmé, macules bizarres, images d’archives scannées et coloriées avec un logiciel numérique, surexpositions, erreurs d’impressions, virages de couleur hasardeux, images déchirées, négatif abîmé, collodion humide, assemblages hétéroclites, altérations diverses.
Opérant la rencontre du numérique et de l’argentique, Jean-Christophe Béchet crée des chimères surprenantes et merveilleuses, créatures indépendantes pouvant être classées du côté de la tératologie photographique.
La dimension plastique de Sauvage matérialité est très belle, renvoyant aux essais multiformes des avant-gardes.

©Jean-Christophe Béchet
Dans sa conversation avec Héloïse Conésa, le photographe évoque le free jazz, rien n’est plus vrai : « Quand on maîtrise bien son outil, son instrument, on a envie de le pousser vers la faute, la sortie de route, le couac. »
Mais il y a davantage encore qu’un rappel de l’histoire de l’art et du médium (Arp, Matisse, Scully, Monory) en ce livre.
Il y a la sensualité des formes et des couleurs, l’érotique de la géométrisation des rapports, le génie de la vie indocile s’infiltrant partout, donnant à chaque image une possibilité d’échappée, d’existence autonome, de vie propre.

©Jean-Christophe Béchet
Sur feuillet libre à déplier inséré en début d’ouvrage, l’ensemble du livre se donne à voir en sa profusion, ses rhizomes, ses audaces.
Apparaissent quelquefois des modèles féminins dénudés, superbes et au moins aussi sauvages que les images qui les représentent.
Les pages sont épaisses, la matière a un poids, chaque photographie est une refondation de l’œil.

©Jean-Christophe Béchet
Composé d’images rescapées, Sauvage matérialité nous rappelle cette évidence qui manque terriblement à notre époque vile : la matière est d’abord esprit.
Nous entrons sous un torii imprévu, planté dans le désert comme une soucoupe extraterrestre, et nous voilà initiés, pour toujours.
C’est le porche de l’art.
Jean-Christophe Béchet, Sauvage matérialité, conversations d’Héloïse Conésa et Thierry Bigaignon avec Jean-Christophe Béchet, direction éditoriale Eric Cez, Editions Loco, 2023, 150 pages
https://www.jcbechet.com/?page_id=6187

Retrouver Jean-Christophe Béchet – il faut absolument voir les tirages – dans l’exposition collective Epreuves de la matière, Bibliothèque nationale (site François-Mitterrand, Paris), du 10 octobre 2023 au 4 février 2024