Just now, not later, Saul Leiter, photographe

©Fondation Saul Leiter

« Mais au bout d’un moment, Saul s’est mis à refuser de jouer le jeu du business [et les commandes de la mode]. Il en a eu assez, tout simplement, et cela s’est arrêté. Il a connu une nouvelle période de vaches maigres, comme à ses débuts. Il a recommencé à faire ce qu’il avait toujours fait : se promener dans son quartier avec son appareil photo, sans trop se presser, et peindre à l’aquarelle dans son appartement. » (Michael Parillo, Fondation Saul Leiter)

On croit bien connaître Saul Leiter, et, de fait, c’est le cas, mais chaque nouvelle image qui nous était restée inconnue apparaît comme un petit miracle, un continent nouveau, une Atlantide.

La publication majeure de Rétrospective 1923-2013 par les éditions Textuel nous offre en grand format, et trois cents photographies, un panorama de son œuvre d’une ampleur enthousiasmante – plus de 20 000 tirages photographiques, 4 000 tableaux et environ 40 000 diapositives.

©Fondation Saul Leiter

On a pu voir cet été aux Rencontres d’Arles quelques-unes de ses productions (photographies et tableaux) dans une exposition ayant connu un succès légitime.

Dans une vidéo, placée à la fin du parcours, Saul Leiter évoque sa passion de la photographie, ses difficultés financières ayant demandé beaucoup de ténacité pour ne pas abandonner son art, et sa façon de considérer la rue comme un champ exploratoire.

Fils de rabbin, Leiter était un lecteur passionné doté d’un sens très fin de l’autodérision.

Pas de grandiloquence, mais le spectacle de la vie, ses miroirs, ses fenêtres, ses voiles.

Cet admirateur de Vuillard et Bonnard ne craignait pas le quotidien, y trouvant des pointes de merveille.

Comportant cinq chapitres (Les débuts / La street photography / La mode / La peinture / L’intime), Rétrospective 1923-2013, volume conçu à l’occasion du 100e anniversaire de la naissance de l’artiste, peut se laisser découvrir à l’improvisade (Cyrano de Bergerac), tant tout ici relève d’une existence menée essentiellement selon les impératifs de l’art.  

« En toutes circonstances, poursuit l’époux de Margit Erb, directrice de la Fondation Saul Leiter, Saul a toujours été prolifique sur le plan créatif. Il n’a pas eu ce qu’on pourrait appeler des périodes. Il n’a pas connu une période couleur et une autre noir et blanc. Il ne consacrait pas un mois à la peinture et le suivant à la photographie. Il faisait tout en même temps, tout le temps. »

©Fondation Saul Leiter

Saul était un voyant, il ne cherchait pas, mais trouvait.

Sa sœur Deborah fut son premier modèle : elle lui ressemble, c’est un double.

Les photographies de l’ami d’Eugene Smith peuvent être d’une sensualité considérable (son appartement new-yorkais est un paradis de douceur et de dévoilements), mais il y a toujours chez lui une éthique de la pudeur, un goût du secret, une façon de considérer les ombres comme des protections.

Ses modèles féminins accueillis dans son univers familier sont d’autant plus touchants que l’on ressent chez Leiter une profonde solitude.  

« Saul, analyse l’auteur et journaliste Adam Harrison Levy, a dit un jour qu’il était un « fantôme rabbinique ». Je crois qu’il voulait dire par là qu’il avait conservé des vestiges de l’éducation talmudique qu’il avait reçue, qui enseignait et encourageait l’investigation et l’interprétation des textes. Il avait assimilé cette manière d’interroger le monde, mais l’avait transposée dans le domaine visuel. »

Leiter photographie comme on calligraphie, souffle, vitesse du trait, sensation de vie.

A sa façon de jazzer les couleurs, c’est un beboper.

C’est la touche juste, c’est à l’Américaine, aurait dit Kerouac.

Il neige, tant mieux.

Il fait soleil, tant mieux.

Il fait éclats de rire et mélancolie, tant mieux.

Pas de reste, la photographie dira le tout, la fresque et les détails.

Un ruban dans des cheveux.

Une cigarette tenue du bout des doigts.

Une courbe de parapluie.

Des grilles, des vitres, des masques.

Tiens, voilà Coltrane, voilà Monk, voilà un trompettiste.

Aplats de couleurs, jeux d’ombres, visages et corps féminins lumineux.

La rue contient des trésors, New York est un espace rempli d’étincelles divines.

Chacun vaque à ses occupations, la comédie est totale, rien n’est sérieux et tout l’est, au suprême.

Flâneur baudelairien dans la plus européenne des métropoles américaines, Saul Leiter se contente des quelques rues en bas de chez lui pour en faire un royaume de puissance et de délicatesse.

©Fondation Saul Leiter

Est-il lyrique ? Bien sûr.

Ses nus sont parmi les plus beaux de l’histoire de la photographie.

Ils donnent envie de vivre, d’envoyer au shéol les nihilistes et les cyniques, de donner la première place à la noblesse des sens.

Dans la série Lanesville (1958) figurent ses seuls nus en couleur.

On pense à Hopper et à Balthus.

On pense surtout que la photographie peut être un art majeur, c’est-à-dire de résurrection.

Qui a dit, de son enfer de sociologue, moyen ?   

Saul Leiter, Rétrospective 1923-2013, contributions de Margit Erb, Michael Parillo, Adam Harrison Levy, Michael Greenberg, Lou Stoppard, Asa Hiramatsu, design graphique Ramon Pez, Editions Textuel, 2023, 352 pages

https://editionstextuel.com/livre/saul_leiter

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