Japon, fantômes et mélancolie, par Pierre-Elie de Pibrac, photographe

©Pierre-Elie de Pibrac

« Mais cette aventure photographique n’est-elle pas plutôt un grand exercice d’exorcisme ? Ou une tentative de réparation d’une humanité qui semble avoir baissé les bras dans le recueillement de l’être ? Quelle image produire d’une malédiction ? » (Michel Poivert)

Les Japonais sont fatigués.

La nature est malade, les catastrophes s’enchaînent, les relations s’épuisent, comment ne pas être abattu, découragé, mélancolique ?

Avec Hakanai Sonzai, livre de grand format à la très belle reliure suisse rouge et couverture cartonnée s’ouvrant comme un coffret, Pierre-Elie de Pibrac observe, avec beaucoup de grâce, un pays aussi superbe qu’épuisé.

©Pierre-Elie de Pibrac

Composé de portraits en couleur, sur papier glacé, et de paysages naturels ou urbains en noir & blanc, sur papier fin, cet ouvrage, où s’intercalent quelquefois entre les photographies, telles des pluies d’idéogrammes, des poèmes calligraphiés de Kujira Sakisaka, montre l’attente, l’introspection inquiète, et la solitude.

Les kamis de la destruction sont là, les prières ont-elles manqué ou sont-elles insuffisantes face aux forces de la colère, du ravage, de l’attrition ?

Hakanai Sonzai est un livre d’autant plus puissamment évocateur qu’il est très doux et d’une noble sérénité dans ses images comme dans son editing.  

©Pierre-Elie de Pibrac

Gardiens de la beauté de l’éphémère, les Japonais sont aussi des veilleurs, les portraits en lumière naturelle de personnes au destin bouleversé – notamment par les effets de Fukushima – effectués à la chambre révélant la profondeur de leur désarroi.

Pierre-Elie de Pibrac photographie avec beaucoup de pudeur, son attention, son écoute, sa délicatesse sont perceptibles.

Après Desdemoria (2019), série ayant pour thème l’abandon des ouvriers cubains de l’industrie du sucre consécutive à l’effondrement de l’utopie castriste (article dans L’Intervalle le 6 décembre 2019), le photographe poursuit dans la péninsule nippone sa réflexion sur la résilience, témoignant de la confiance d’hommes, de femmes et d’enfants ayant accepté d’ouvrir leur cœur à l’étranger venu à leur rencontre.

©Pierre-Elie de Pibrac

Hakanai Sonzai, soit la précarité ontologique de l’existence, se regarde lentement, avec une forme d’empathie très profonde pour les sujets représentés relevant de l’universalité du sentiment de soin, ou de care dirait-on aujourd’hui.

Même les quelques images mises en scène, faisant songer à Jeff Wall, indiquent une extrême précaution envers ce qu’exprime le visible de l’invisible.   

La nature va son ordre.

Les catastrophes ne sont au fond que des remises en ordre, acceptées comme telles par qui les subit intimement.

©Pierre-Elie de Pibrac

Pas de révolte, mais une conscience aiguë de l’inéluctabilité du destin.

Des cristaux de neige, des cascades, des atmosphères crépusculaires.

Des tristesses, des blessures, des découragements.

Jusque quand le mont Fuji gardera-t-il son faîte blanc ?

Une femme-esprit s’avance dans la forêt.

Les bambous sont pleins de vide, il faut faire de la place en soi pour que tout se renouvelle.

Et Pierre-Elie de Pibrac de citer cette pensée merveilleuse du poète et fondateur de la méthode reiki, Mikao Usui (1865-1926) : « Dans chaque épreuve, ne cherchez pas l’ennemi, cherchez l’enseignement. »

Pierre-Elie de Pibrac, Hakanai Sonzai, Textes Michel Poivert et Kujira Sakisaka, édition Nathalie Chapuis assistée de Camille Cibot, conception graphique Coline Aguettaz, fabrication Ingrid Boeringer et Charlotte Debiolles, Atelier EXB, 2023, 184 pages

https://www.pierreeliedepibrac.com/fr/

https://exb.fr/fr/japon/591-hakanai-sonzai.html

©Pierre-Elie de Pibrac

Exposition au Musée Guimet, du 20 septembre au 15 janvier 2024

https://www.guimet.fr/event/portrait-ephemere-du-japon/

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