Weegee the famous, photographier le crime et la société du spectacle

Charles Sodokoff et Arthur Webber se cachent le visage avec leurs chapeaux hauts-de-forme, 1942 © International Center of Photography. Louis Stettner Archives, Paris

Qui n’a jamais vu Charles de Gaulle distordu par Weegee, sophistiqué voyou de la photographie, ne sait pas ce qu’est le burlesque de la grandeur et l’affreux rire de l’idiot caché sous le masque de la respectabilité intransigeante.

Il y a quelque chose de pourri en ce bas royaume humain, d’ailleurs quelqu’un vous le montre, qui traîne dans la rue avec les flics et les criminels, adepte du fait divers sanglant et du flash qui aveugle.

Pas le temps pour la bienséance, et surtout pas l’envie, mais la vérité brute, nue, dégueulasse, à même le macadam.

J’aime beaucoup le titre de l’exposition Weegee – catalogue chez Textuel -, Autopsie du Spectacle, qui opère la rencontre d’un film d’Otto Preminger et d’un livre fondateur de Guy Debord sur la table de dissection d’un médecin légiste fou.

Weegee, c’est le New York de la pègre, des mauvais coups, des actes crapuleux.

La Critique, 22 novembre 1942, Collection Friedsam, Francfortsur-le-Main.© Weegee Archive / International Center of Photography, New York

Avec lui le rêve américain crache son envers, qu’il s’agisse de ses photographies de starlettes, politiciens et mondains, ou des assassinés flingués à bout portant.

Quelle différence au fond entre un mort-vivant, un vivant-mort ou un mort-mort ?

Des vivants-vivants, il y en a peu, ce sont les grands artistes, les amoureux, le peuple dans sa dimension précapitaliste.

Si la mort aimante son regard – crimes, accidents de la route, incendies -, l’attention de Weegee, issu d’une famille d’immigrés juifs, pour les défavorisés, les déclassés, les miséreux, ses frères, est indéniable.

Telle est son éthique : montrer le cru, mais ne pas craindre le compassionnel, et, quoi qu’il en soit, traverser les apparences.   

Amoureux au Palace Theatre, New York,vers 1945, Archives Louis Stettner, Paris © Weegee Archive / International Center of Photography, New York

Arriver le premier sur les lieux, ou être le dernier à partir, traîner dans la vivacité, se mouvoir dans la lenteur.

Autopsie du Spectacle est composé des fragments d’un long film noir (années 1940), ou, dans son versant hollywoodien, d’une longue tromperie glamoureuse très rentable (années 1950).

D’un côté donc, le vif de la rue ; de l’autre, le travail en studio minutieux.

Weegee aime photographier des spectateurs, des visages sidérés, des émotions.

Ce sont les leurs, ce sont les siennes, que cache l’imposant appareil de vision.

Il se plaît à se mettre en scène, oiseau de malheur, bandit incarcéré, voyeur assumé.

Murder Victime (New York, vers 1940), c’est de façon saisissante, et dans une position inversée, Le torero mort de Manet (1865), néant autour du cadavre, filet de sang, vie foudroyée.

Radio branchée sur la fréquence de la police, Weegee est un corbeau, un charognard, un indésirable dans l’album de famille (ses accidents de voiture préfigurent les Car Crash de Warhol).

Weegee est grand, parce que son œil est direct, et que le bonhomme n’a peur de rien, ni du sang, ni de la caricature (Daumier est un modèle), ni des foules, ni des stars, ni du regard déchirant, sans pathos, des nécessiteux.   

Weegee, Autopsie du Spectacle, sous la direction de Clément Chéroux, avant-propos de Serge Toubiana, textes de Clément Chéroux, Cynthia Young, Isabelle Bonnet et David Campany, Editions Textuel, 2024, 208 pages

https://www.editionstextuel.com/catalogue/photographie/voir-tout

Autoportrait avec un appareil Speed Graphic, 1950 © International Center of Photography. Collection Friedsam

Exposition à la Fondation Henri Cartier-Bresson, du 30 janvier 2024 au 26 mai 2024

https://www.henricartierbresson.org/expositions/weegee/

https://www.leslibraires.fr/livre/23021077-weegee-autopsie-du-spectacle-clement-cheroux-textuel?affilaite=intervalle

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