Contre la barbarie, par Klaus Mann, écrivain

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« Je souhaiterais n’avoir jamais écrit une ligne qui n’eût pas résulté pour moi – pour moi personnellement – d’une nécessité absolue, qui n’eût pas été une confession mise en forme, organisée, et donc une œuvre d’art. J’aimerais n’avoir jamais publié une ligne qui n’eût, de manière infime, infinitésimale, contribué à éclairer l’énorme confusion que connaît notre époque. » (Klaus Mann, 1930)

Je poursuis avec L’Intervalle la politique des noms qu’il m’importe de transmettre, inlassablement.

Pour continuer à entendre leur voix, leur singularité artistique, leur génie littéraire, mais aussi le courage de leurs positions intellectuelles et politiques.

Ainsi le nom du romancier et chroniqueur de son temps Klaus Mann – fils de Thomas Mann, frère d’Erika Mann avec qui il eut une relation quasi incestueuse -, notamment pour sa lutte de tous les instants contre les barbaries fascistes.

Il dut s’exiler (en mars 1933), continua à combattre les régimes ignobles, et se suicida, épuisé et très seul, à Cannes, en 1949.  

Les éditions Libretto publient un ensemble d’essais, articles et conférences de l’auteur de Méphisto parus entre 1928 et 1948 – soixante-sept textes -, témoignant de la haute conscience morale de l’écrivain, dénonçant les totalitarismes nazi et communiste.

On s’agite aujourd’hui beaucoup, la gauche et l’extrême-gauche s’enferment dans des positions moralisatrices en défendant les bonnes mœurs du moment, peu font de la liberté un véritable étendard, préférant tourner dans le sens des vents favorables leur marionnette sociale.

Voilà pourquoi je parlerai toujours au nom du premier Aragon et du meilleur Drieu la Rochelle, comprenne qui pourra.   

Depuis la fin des années 1920, précise en avant-propos Dominique Laure Miermont, Mann, qui abandonna sa langue natale en 1940, est d’une lucidité sans faille concernant le devenir de l’Allemagne sous le joug des nouveaux despotes.

Il reprend dans une lettre datée de 1931 Stefan Zweig, qu’il admire pourtant, pour avoir jugé avec trop d’aménité la jeunesse révoltée allemande votant pour les nazis.

Michel Crépu, en préface, a noté ce passage remarquable : « Tout ce que fait la jeunesse ne nous montre pas la voie de l’avenir. Moi qui dis cela, je suis jeune moi-même. La plupart des gens de mon âge – ou des gens encore plus jeunes – ont fait, avec l’enthousiasme qui devrait être réservé au progrès, le choix de la régression. C’est une chose que nous ne pouvons sous aucun prétexte approuver. Sous aucun prétexte. (…) Ainsi donc, Stefan Zweig, je répudie devant vous ma propre génération, ou tout au moins cette partie de ma génération que vous, justement, vous excusez. » 

Comment un « minable » comme Hitler – voir la façon dont il s’empiffre de tartelettes à la framboise dans le roman Le Tournant – a-t-il pu à ce point envoûter les foules ? En quoi réside son pouvoir de malfaisance ? La médiocrité chantée/éructée est-elle le ciment des désespérés ?  

Avec une belle continuité de propos, Klaus Mann s’afflige des compromissions du poète Gottfried Benn avec le pouvoir.

Qu’inspire à Klaus Mann l’avènement du Troisième Reich ? « un sentiment de vide, qui suscite le dégoût », « une sinistre imposture », « l’anti-esprit qui lutte contre l’esprit », « des imbéciles bouffis d’orgueil », « du pathos rebattu, défraîchi », « des marmites putrides », « une doctrine démentielle », « des simagrées », « une racaille meurtrière ».

« Lorsque Albert Einstein, qui s’est vu confisquer ses biens, a renoncé à la nationalité allemande, et a présenté sa démission à l’Académie, précise l’écrivain avec écoeurement, celle-ci répondit au savant le plus célèbre d’Allemagne qu’elle n’avait aucune raison de déplorer son départ. »

Alors qu’intellectuels, artistes et journaux sont mis au pas, Mann crée en riposte à Amsterdam dès septembre 1933 la revue littéraire mensuelle Die Sammlung.

« Le fascisme, annonce-t-il avec clairvoyance, n’abandonnera pas la partie avant d’avoir joué sa dernière carte, et sa dernière carte, c’est toujours le sang. »

Mann écrit en novembre 1934 : « Les dirigeants de ma belle et grande patrie en sont arrivés à un point tel que c’est un honneur d’en être banni. »

L’Allemagne a chu, mais l’Allemagne a un nom, qui est celui de Mann et de tous ceux ayant refusé de se corrompre avec un régime brutal, grotesque, et criminel.

« Quelles sont les deux idées que les nazis détestent et méprisent le plus ? Les idées grecque et chrétienne, les deux idées européennes par excellence. »

Il y a deux sortes d’Allemagne, comme il y a deux sortes de France.   

D’ailleurs, vous voterez peut-être aux prochaines élections européennes.

Quant à moi, si j’y vais, je ne sais toujours pas pour qui.

Vous avez des idées ?

« La paix, écrit Mann en 1941, c’est davantage que l’absence de guerre. La paix, c’est une vertu, une conquête, une façon de vivre, pour laquelle il faut travailler et qu’on ne peut sauvegarder qu’avec toujours davantage de travail, de raison, de foi et de force. Voilà ce qu’a enseigné, il y a environ deux cent cinquante ans, le grand philosophe Spinoza. »

Klaus Mann, Contre la barbarie 1925-1948, traduit de l’allemand par Corinna Gepner & Dominique Laure Miermont, préface de Michel Crépu, Libretto, 2024, 450 pages

https://www.editionslibretto.fr/catalogue/contre-la-barbarie/

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