Et in Arcadia ego, par Gérard Traquandi, peintre

©Gérard Traquandi

« L’histoire de l’art en France depuis les années cinquante n’existe pratiquement pas. On ne la raconte pas. On en a honte. Peu importe qu’elle soit glorieuse ou modeste, il faut la raconter car elle comporte, comme Eugène Leroy, quelques héros. » (Gérard Traquandi)

Guidé par la lumière et la somptueuse fécondité du vivant, Gérard Traquandi est un peintre de la sensation, célébrant par l’énergétique de la couleur la beauté d’un monde premier, inentamé, gratuit.

©Gérard Traquandi

Dans le texte du catalogue de l’exposition Gérard Traquandi, L’approbation de la nature, ayant eu lieu au Musée des Beaux-Arts de Caen en 2022, l’écrivain Stéphane Lambert écrit en introduction d’un propos en dix points : « Il y a des peintres admirés par les autres peintres parce que seuls eux peuvent éprouver de l’intérieur le génie qu’il a fallu pour peindre ce qu’ils ont peint, parce qu’ils se sont confrontés aux mêmes montagnes, parce qu’ils ont eu les mêmes horizons à conquérir. Ainsi devait-il en être lorsque Gérard Traquandi évoquait Poussin, Philippe de Champaigne ou Eugène Leroy. Non pas que ces peintres n’étaient pas dignes d’admiration, loin de là, mais il fallait savoir bien des secrets sur le maniement de la peinture, à propos de l’élaboration de la couleur, pour voir en eux les guides indépassables qu’ils étaient, il fallait l’œil et l’expérience de l’œil pour souligner le caractère inouï de leurs dons. »

Dans un entretien avec le critique d’art Olivier Cena ayant lieu à Venise au moment de la Biennale d’art contemporain, publié aux éditions L’Atelier contemporain sous le titre Toute peinture est un désir contrarié, ce grand admirateur de Cézanne pense la peinture, à la façon de Schiller dans ses Lettres sur l’éducation esthétique de l’homme (1794), comme partage, monde commun, union des âmes.

©Gérard Traquandi

Il y a beaucoup de culture, mais peu d’art.

Beaucoup discourent, mais peu voient.

Le marché aime les modes d’emploi, les vrais amateurs inventent leur lecture.

« La nature est incopiable, affirme Gérard Traquandi. Donc la question demeure : comment fais-tu passer tes sensations sur la toile ? Le mauvais peintre va être piégé par son sujet : il va essayer de copier. Il faut choisir ! Avoir d’abord les bonnes sensations et choisir parmi elles. Puis passer d’un monde à un autre. Or, au passage, il y a une opération… je ne sais pas comment la qualifier… magique ? Quand tu vois un ciel peint par Ruysdael, par exemple, tu as la sensation du ciel, et par un autre peintre, plus ordinaire, tu n’as que l’image du ciel. Le mot Cézannien est juste : réaliser, réalisation. »

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Il faut être suprêmement présent, veiller à ne pas laisser l’intelligence nous séparer du monde, abandonner les ruses et malices des parcours fondés, comme chez beaucoup d’artistes post-duchampiens, sur la rentabilisation de ses dons.  

Peindre loin des modes et des trucs du moment (ironie, gigantisme, mise en scène du kitsch), être comme un bon vigneron, proche de la terre, fin connaisseur du climat, menant sa propre guerre du goût contre les standards culturels.

Traquandi, ce sont des nuages comme une origine du monde, des baigneuses merveilleuses, toute une mythologie active ici et maintenant.

©Gérard Traquandi

En regardant des arbres, percevoir, tel un maniériste italien, la sève colorée qui les parcourt et les courbe, les forme et les déforme.   

Gérard Traquandi cherche l’essence, la traversée des apparences, la surprise stupéfiante de ce qui s’élabore par la main.

« L’art a deux fonctions, précise-t-il, consolation et érotisation. Ou c’est l’un ou c’est l’autre. Quand je vois de l’art, ça me console et ça m’érotise. (…) Les deux termes de l’art qui m’importent et me conviennent sont devenus aujourd’hui extrêmement péjoratifs : c’est sensualité et décoratif. Je crois que ce sont des voies où l’on peut travailler et chercher – mais évidemment il faut le faire avec tact. Que faisait Giotto ? Il décorait les églises. On ne dit pas qu’il peignait les églises, on dit qu’il les décorait. »

Dans la deuxième partie de Toute la peinture est un désir contrarié, Olivier Cena, revient, à partir de ses carnets de notes, sur ses multiples rencontres avec son ami peintre, dans ses ateliers d’Aix-en-Provence et de Paris, ses lieux d’exposition, mais surtout dans des restaurants autour d’un verre de vin naturel.

©Gérard Traquandi

Des paroles de Traquandi sont reprises : « Il faut réactiver le désir et le maintenir vivant. »

Ceci aussi : « Quand j’ai commencé mes études aux Beaux-Arts de Marseille, il y avait un professeur de couleurs extraordinaire. Ce n’était pas un artiste, plutôt un artisan, avec la blouse grise. Il nous donnait un papier avec une couleur – je me souviens d’un vert magnifique -, et il nous demandait de refaire le même. Pour le vert, on avait tous pris du bleu et du jaune, et hardi petit, mais ça ne marchait pas. Au bout d’une heure il nous avait dit : peut-être bien qu’il y a du rouge dedans. Du rouge pour faire du vert, nous, on n’y aurait jamais pensé. Et puis, le type est parti à la retraite et n’a jamais été remplacé. Au Japon, on l’aurait nommé trésor national vivant. »

Voilà, tout est à retrouver, la volupté révolutionnaire d’une pomme, une composition végétale, un simple bouquet de fleurs.

Olivier Cena & Gérard Traquandi, Toute peinture est un désir contrarié, éditions L’Atelier Contemporain, 2024, 128 pages

https://editionslateliercontemporain.net/mot/gerard-traquandi

https://www.leslibraires.fr/livre/21642769-toute-peinture-est-un-desir-contrarie-entretiens-cena-traquandi-l-atelier-contemporain?affiliate=intervalle

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