Ensemble, avec les déshérités, les fous, les mendiants, les orphelins de toujours, par Jean-Louis Courtinat, photographe

©Jean-Louis Courtinat

« Il m’est souvent arrivé de ne pas sortir l’appareil photo de mon sac, de m’abstenir de prendre des images pour préserver cette intimité avec l’autre. Lorsque je photographie, je ne participe pas au moment présent. Je deviens observateur et cela me gêne. Cette attitude chez moi, à la fois psychologique et photographique, est venue très tôt et ne m’a jamais quitté. » (Jean-Louis Courtinat)

Admirateur de l’Américain Eugene Smith – son reportage essentiel sur la sage-femme noire d’un petit village de Caroline du Nord, Maude Gallen -, Jean-Louis Courtinat conçoit la photographie comme Jean-Louis Comolli pensait le cinéma : comme un rappel pour tous de la dignité en chacun.

Depuis des décennies, souvent aux côtés des bénévoles de l’association Petits Frères des pauvres, accompagné par l’esprit de son fondateur Armand Marquiset – rappel de sa devise : « Avons-nous donné des fleurs, avant le pain ? » -, cet auteur qui fut plusieurs années l’assistant de Robert Doisneau regarde sans aucune pointe de pathos ou de misérabilisme la détresse sociale, l’exclusion, la relégation.

©Jean-Louis Courtinat

Soutenu constamment par Robert Delpire, avec qui il a réalisé plusieurs livres, notamment en 2013 un Photo Poche qui le célèbre, l’auteur de Les souffrances de l’âme (éditions La Compagnie du Livre Rouge, 2023) n’est pas un voleur d’images, mais un compagnon des déshérités, qu’il se permet de photographier quelquefois, avec leur accord, après des jours, voire des semaines, de vie en commun.

Il passe ainsi de longs moments au service de gériatrie de l’hôpital Paul-Brousse, à Villejuif, dans des services d’urgence (Aix-en-Provence, Hôtel-Dieu de Paris), au centre d’hébergement pour les personnes sans abri de Nanterre, à l’Institut Curie de Paris, dans des foyers de vie.

Dans Louons maintenant les plus fragiles, livre d’entretiens avec Bertrand Eveno au titre rappelant l’ouvrage si important de Walker Evans et James Agee, Louons maintenant les grands hommes (1936), Jean-Louis Courtinat fait l’éloge de l’instant décisif de Cartier-Bresson, préférant toutefois, précise-t-il, l’instant émotionnel décisif à l’instant graphique décisif.

©Jean-Louis Courtinat

Les photographies du membre des agences Viva puis Rapho (sous la direction du très british Raymond Grosset) témoignent, outre la qualité de leur composition, d’une fraternité, d’une grande délicatesse, d’une empathie sans faille envers les personnes regardées.

Vincent Vanh Gogh est rappelé, qui écrivait : « Je préfère peindre les yeux des hommes que les cathédrales, car dans leurs yeux il y a quelque chose qu’il n’y a pas dans les cathédrales, […] l’âme d’un homme – même si c’est un pauvre gueux ou une fille des rues – est plus intéressante pour moi. »

Œuvrant quasiment comme un travailleur social, Jean-Louis Courtinat cherche par sa photographie à « être utile », et lever les consciences (et des fonds pour les associations humanitaires avec lesquelles il travaille), son corpus d’images rendant compte, sur un plan historique, de la misère sociale en France de la fin du XXème siècle au début du XXIème siècle.

©Jean-Louis Courtinat

Partager, prendre le temps, ne jamais se dissimuler, entrer en relation.

Chercher la vérité dans le regard de l’autre, incarner une éthique de la discrétion.

Ne pas recadrer, soigner les ombres, connaître l’art de la composition (fréquenter les grands peintres).

Ne pas seulement montrer, mais donner à voir, à comprendre, à ressentir.

« Très souvent, confie cet auteur qui obtint en 1991 le Prix Niepce, j’ai l’impression que ce n’est pas moi qui prends les photos, mais qu’elles me sont « offertes ». J’éprouve alors un bonheur intense. »

©Jean-Louis Courtinat

Accompagnant une exposition ayant actuellement lieu à la Grande Chapelle de la Salpêtrière, à Paris, Louons maintenant les plus fragiles est un livre de nécessité sociale, à l’heure où la grande bourgeoisie planétaire, bourrée de morgue et de fric, ne cesse d’accroître ses privilèges exorbitants.  

On lira ici cette citation bien venue de Michel Audiard, placée en exergue d’un chapitre : « J’ai encore une toute petite provision de pitié, je la garde précieusement pour les enfants pas heureux, les vieux tout seuls, les malades, les vrais paumés. »

Jean-Louis Courtinat, Louons maintenant les plus fragiles, 40 ans de photographie sociale, entretiens avec Bertrand Eveno, direction éditoriale Emmanuelle Kouchner, édition Laure Defiolles, conception graphique et mise en page Line Célo avec l’aide d’Iris Rachez, BPR Editions – La Compagnie du Livre Rouge / Delpire & co, 2024, 112 pages

Et une pensée personnelle pour Michel Thersiquel, belle âme

https://jeanlouiscourtinat.fr/index.php/louons-maintenant-les-plus-fragiles/

https://www.delpireandco.com/produit/louons-maintenant-les-plus-fragiles/

Ouvrage accompagnant l’exposition Jean-Louis Courtinat, 40 ans de photographie sociale, à la Grande Chapelle de la Salpêtrière (Paris) – du 30 septembre au 29 novembre 2024

https://fujifilm-x.com/fr-fr/events/exposition-40-ans-de-photographie-sociale-par-jean-louis-courtinat-avec-le-soutien-de-fujifilm/

©Jean-Louis Courtinat

https://www.leslibraires.fr/livre/23654429-louons-maintenant-les-plus-fragiles-jean-louis-courtinat-40-ans-de-photographie-sociale-courtinat-jean-louis-delpire-editeur?affiliate=intervalle

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