©Paul Gérard
Les volumes de la collection non-couché, coéditée à Bruxelles par CFC-Editions et l’ISELP, sont des ouvrages où le silence de la réflexion se nourrit d’images et de mots soigneusement choisis.
D’une grande sobriété formelle, ces livres offrent à la mémoire des espaces où se recomposer, se déployer, et s’interroger sur ses tours et détours, entre absences éloquentes et persistances à élucider.
Impasse de la fidélité, de l’artiste multidisplinaire Paul Gérard, fait ainsi se rencontre mémoire intime et histoire des mœurs.
©Paul Gérard
En annonçant en février 2013 à sa famille son homosexualité, celui-ci apprend par sa grand-mère que son grand-père l’était aussi, et qu’il fut probablement assassiné pour cette raison quarante-six ans plus tôt.
Les non-dits traversent en les structurant les générations, il faut parfois la naissance d’un artiste pour dévoiler ce que beaucoup préféraient taire.
Le grand-père se cachait, le petit-fils ne cache rien, qui invente deux maquettes, l’une de la maison de ses grands-parents, peuplée de petits lits, l’autre d’un lieu de rencontre clandestin.
En fouillant dans le bureau de son grand-père, Paul Gérard découvre notamment un journal intime.
Il y est écrit ceci (1er décembre 1955, Bruxelles) : « Aujourd’hui, c’est mon anniversaire, j’ai 27 ans. / Malaise ce matin quand mon père m’a demandé ce que j’avais prévu pour fêter ça. / « J’ai rendez-vous avec des amis. » / « Des amis ? Toujours pas avec une fille ? » / Je ne réponds pas. / En réalité, j’ai rendez-vous avec Claude. // Il m’a invité dans un endroit très « spécial ». / J’ai d’abord hésité. Je n’aime pas le quartier. / Mais il a insisté et piqué ma curiosité : / Et là-bas, ne donne jamais ton adresse, / ne parle pas de ton métier. »
©Paul Gérard
Au numéro 2, Impasse de la Fidélité, au sous-sol, des hommes peuvent s’y amuser, s’y rencontrer, s’y aimer en secret.
Peuplé de blanc, le livre de Paul Gérard laisse deviner, n’assène rien, fait entendre la joie et les peurs.
Qui a tué le grand-père ? Son amant ?
©Anna Safiatou Touré
Avec Herbier du département congolais des Serres royales de Laeken, l’artiste malienne Anna Safiatou Touré imagine un herbier composé de plantes fictives, faisant écho aux végétaux ramenés à Bruxelles de la colonie congolaise il y a plus d’un siècle et n’ayant pas survécu au climat belge.
La dépossession des peuples par le processus colonial est ici questionnée.
Pour chaque plante, Anna Safiatou Touré imagine un nom, une histoire, une identification.
©Anna Safiatou Touré
©Anna Safiatou Touré
La violence de la servitude est ici représentée par la menace de serres contemplées de nuit comme s’il s’agissait de la toile d’une gigantesque araignée.
Les végétaux apparaissent sur fond blanc, ce sont des rescapés un peu étranges d’un vol en bande organisée.
Il y a ici de l’effroi, de la mémoire blessée, des spoliations désolantes, et une recomposition froide des effets de la nuit coloniale.
©Anna Safiatou Touré
On peut lire ainsi Impasse de la Fidélité et Herbier du département congolais des Serres royales de Laeken comme une histoire secrète de la Belgique, entre toute puissance et honte, domination et ouverture des archives.
Paul Gérard, Impasse de la Fidélité, direction et coordination Christine De Naeyer et Adrien Grimmeau, conception graphique de la collection non-couché Collin Hotermans, mise en page Paul Gérard & Collin Hotermans, CFC-Editions / ISELP, 2024
https://www.maisoncfc.be/fr/products/1484-impasse-de-la-fidelite-paul-gerard
Anna Safiatou Touré, Herbier du département congolais des Serres royales de Laeken, direction et coordination Christine De Naeyer et Adrien Grimmeau, conception graphique de la collection non-couché Collin Hotermans, mise en page Anna Safiatou Touré & Collin Hotermans, CFC-Editions / ISELP, 2024
Le blog de Fabien Ribery 